26 Avr 2011 |
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Quelque part en Suisse, au début des années 60, un flux migratoire inattendu a conduit une communauté d’acteurs à s’installer et investir une ville dans laquelle ils joueraient leur rôle à vie. À mi-chemin entre uchronie et utopie, Patrice Blouin scrute les interrogations des artistes en particulier, des hommes en général, sans oublier de décortiquer les mécanismes du politique dont l’écho se fait particulièrement contemporain.
Vous chercherez à tort le nom de la ville de Baltern sur un planisphère, y compris en zoomant sur la Suisse, où elle est pourtant sensée se trouver, pour la simple et bonne raison qu’elle n’existe pas. Juchée au cœur des montagnes romandes, elle est pourtant le décor idéal pour une expérience communautaire originale: celle entreprise par un groupe d’acteurs fuyant les studios hollywoodiens dont les propositions d’emploi se tarissaient. Répondant non pas à l’appel d’un quelconque syndicat mais à leur propre initiative, ils ont investi ce lieu déserté pour y édicter des principes de vie totalement novateurs : être ce que l’on parait et non paraître ce que l’on est. Autrement dit, vivre réellement le rôle pour lequel chacun d’entre eux avait été sélectionné, casting après casting. Une façon, sans doute, de dépasser, de faire fi de l’étiquette parfois un peu réductrice qui les avait conduit à interpréter sans cesse le même personnage… Une façon aussi de se demander si à force d’incarner un médecin, un musicien ou un maire, ils ne se retrouvent pas plus dans ce rôle que dans leur identité originelle. La grande famille du cinéma version Cluedo On peut y lire une réflexion d’ordre quasi-philosophique sur la convergence – ou non – de l’apparence et de l’essence. Ou encore une variation sur les mesquineries de « la grande famille du cinéma », le pouvoir d’illusion du septième art, la comédie sociale que nous jouons tous, au moins en public… Ce serait aussi rebutant – si ce n’était que cela – que simpliste. Car au fil de scènes alternant séances chez la psychanalyste, réunions au café et épisodes de campagnes électorales, Patrice Blouin construit un véritable roman dans lequel il interroge et rappelle la complexité humaine. Et il le fait sur un mode ludique. Car l’expérience sociale et communautaire qu’il fait subir à ses personnages en les regroupant en vase clos et en les contraignant à vivre selon des règles faites spécialement pour eux emprunte directement au fonctionnement des émissions de télé-réalité. Mais l’on songe également au jeu du cluedo par le mystère qui envahit progressivement l’intrigue et en appelle à notre sens de l’investigation et de la déduction. Si tant est qu’il y ait une explication rationnelle à ce que la psychanalyste de cette communauté – une fois sa dispersion achevée – diagnostiquera comme une « expérience d’hallucination collective »…. On oscille ainsi sans cesse entre une satire quelque peu chabrolienne de cette microsociété qui doit trouver un équilibre entre la négation de l’individu qu’elle impose et l’inévitable affrontement d’ego qui surgit, et une fiction plus lynchéenne par le trouble qu’elle dégage, les questions du dédoublement, de l’illusion qu’elle soulève. Mais peut-être est-il bon d’abandonner toute tentative d’étiquetage de ce texte aussi plaisant que singulier, de le lire comme une histoire étrange et imagée, inévitable hommage au cinéma, sans s’interdire d’y dénicher avec un certain plaisir une mise en évidence des travers, et déboires de notre société contemporaine, de son mode de gouvernance, de ses traumas… Car au final, cette communauté de substitution a beau s’être volontairement exclue du monde réel, elle sera tôt ou tard elle aussi confrontée au vieillissement de sa population et donc au problème des retraites, à la gestion de la question religieuse ou au changement de constitution politique. Et autant les propositions des forces politiques réelles peuvent, souvent, laisser à désirer, autant celles des copies ne se révèlent pas forcément plus viables… Baltern
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