14 Jui 2010 |
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Un barbier juif. Un nazi confirmé. Plusieurs possibilités, y compris la plus improbable : le transfert des identités. Dédoublement et froide perversité sont au cœur de cette Histoire revisitée grâce à Edgar Hilsenrath avec beaucoup de cynisme et un incontestable brio. Peut-on rire de tout ? La question pourrait presque sembler galvaudée tant elle ressurgit fréquemment dans l’actualité, qu’il s’agisse de religion avec l’affaire des caricatures publiées par Charlie Hebdo, ou de l’humour selon Stéphane Guillon et Didier Porte, qui n’est pas goûté de tous. La question devient carrément polémique dès lors que l’on touche à des sujets douloureux, voire tabous, comme la Shoah. … La réponse n’est pas aisée mais la forme y est certainement pour quelque chose. En ce qui concerne la Seconde guerre mondiale et les crimes perpétrés par les Nazis, si le temps passé n’amoindrit pas l’atrocité ni l’ampleur des crimes commis, la distance prise autorise des traitements plus variés, des partis pris plus originaux. Au cinéma, Roberto Benigni a tenté l’humour avec succès dans La vie est belle. Dans le domaine littéraire, en 2006 dans Les Bienveillantes, Jonathan Littell osait accorder à l’un des bourreaux la voix principale. Qu’on en apprécie ou non la qualité littéraire, on ne peut contester l’originalité du projet. Aussi ne peut-on être qu’époustouflé en découvrant la genèse du Nazi et le barbier, écrit par Edgar Hilsenrath, Juif allemand, entre 1968 et 1969. D’abord publié aux États-Unis en 1972, il a fallu attendre 1977 avant que des éditeurs allemands acceptent de l’éditer, créant le scandale. Car là encore - ou plutôt déjà -, c’est au génocidaire, un certain Max Schulz, que la parole est donnée. Si l’humour au sens premier du terme n’est pas en jeu, l’ironie et l’humour noir fonctionnent à plein. Elle se dévoile de façon grinçante à mesure que l’on découvre les atrocités dont il s’est rendu coupable. Un récit à la première personne d’autant plus effroyable qu’il rend compte de la complète lucidité du Nazi au moment de l’accomplissement de ses actes. Bien que, selon les habituels mécanismes de défense des tortionnaires ici brillamment mis à nu, il se présente comme un simple « petit poisson » parmi tant d’autres, qui n’aurait été que le récipiendaire d’ordres prononcés en haut lieu (autrement dit par le Führer), auxquels il ne pouvait échapper. Car s’il semble doté d’un Q.I. relativement inférieur à la moyenne dans le cadre scolaire, il sait déployer des trésors de finesse et de perversité pour manipuler son prochain et fuir ses responsabilités. Mais là où Hilsenrath fait d’autant plus mouche, c’est qu’il ne se limite pas à une critique en règle des actions nazies. Il fustige en effet aussi l’attitude d’une majorité d’Allemands qui, après la guerre, ont eu tendance à multiplier les lamentations sur les atrocités passées et à se faire les défenseurs d’un philosémitisme mondial. « Voilà l’histoire » Il est ainsi beaucoup question de démesure, du passage d’un extrême à l’autre. Car l’histoire du Nazi et le barbier ne s’achève pas avec la fin de la guerre. Elle se poursuit jusqu’à la fin des années 1960, nous faisant vivre la création de l’Etat d’Israël, la vie dans les kibboutz et les premiers conflits qui ont opposé les habitants aux voisins arabes. C’est un concentré d’histoire de la diaspora juive qui nous est proposé en accéléré. Dans le rôle principal : Max Schulz, alias désormais Itzig Finkelstein puisque, incapable d’endosser la responsabilité du crime des « six millions » et poussé par un instinct de survie qui lui semble totalement légitime, il a usurpé et endossé l’identité de son ancien camarade d’enfance, un Juif mort dans les camps. Une nécessité apparaît alors : s’échapper. Mais où ? Nombreux ont été les criminels nazis à fuir l’Allemagne lorsqu’ils ont compris qu’ils étaient passés dans le camp des perdants, notamment en Amérique du Sud. Usurpant l’identité d’un Juif, Max Schulz pousse cette logique à l’extrême en s’aventurant en Israël. Pour lui qui confondait déjà histoire et mythologie sur les bancs de l’école, cette terre promise est le lieu idéal pour une réécriture de l’histoire, une réinvention de son parcours. Il s’emploie avec autant de passion et de dévouement à s’investir de sa nouvelle identité juive, allant jusqu’à apprendre le yiddish et devenant l’un des porte-parole les plus actifs de la cause sioniste, qu’il s’était efforcé de mettre en œuvre la Solution finale. « - Cette nuit, on a raflé tous les Juifs et tous les coiffeurs. - Mais pourquoi les coiffeurs ? »… Il fallait oser aborder le sujet avec un tel parti pris. Sainement dérangeante dans les années 1970, la charge est toujours aussi efficace, comme un écho impertinent aux polémiques autour du devoir de mémoire et de la repentance… Le Nazi et le barbier
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