Un rat omnipotent, une perfection faite femme sur papier glacé, une Lolita plus charnelle que l’originale, des parents dégoulinants d’un amour mal placé, une femme enceinte sur la plage, une jeune femme terrorisée par la vie… Ils dansent sous la plume envoûtante de Patrick Grainville. Clotilde se pose d’innombrables questions. Etudiante âgée d’une vingtaine d’années, sa vie est rythmée par ses cours de danse, seuls moments de la journée ordonnés, millimétrés, pendant lesquels elle trouve un semblant de rigueur bienfaisante et échappe au chaos de son entourage dans lequel elle peine à se reconnaître. Dans un mélange de fantasmagorie et de réel dérangeant, Clotilde évolue dans ce monde rendu poétique uniquement par la prose exceptionnelle de Patrick Grainville mais dans lequel la folie rôde, prédatrice. Clotilde est surtout proche de « Nora », une photo de Helmut Newton représentant une femme sculpturale, remarquable par la force de sa perfection, d’autant plus qu’elle est armée d’un couteau, prête à fondre sur sa proie, un poulet rôti, symbole pour Clotilde de la laideur du monde. Dans son univers évolue également Dante, rat de laboratoire surdoué dont les escapades nocturnes répétées sont pour l’auteur autant d’avancées poétiques à travers des descriptions surréelles des perceptions du rat du monde extérieur et pour Clotilde des raisons supplémentaires de se protéger de ce monde et du rat qui l’observe et fouille aux tréfonds de son âme. Clotilde rêve sa vie à travers ses images d’un passé lointain et disparu. Son romantisme extrême est d’autant plus mis en valeur par opposition à sa sœur, Armelle, sa cadette, véritable croqueuse d’hommes de 15 ans, boulimique du corps et de sensualité tandis que pour Clotilde, la vie est intérieure. La sexualité de Clotilde est trouble, à la fois divine et dangereuse tandis que pour ses amis, Salah, le bisexuel mystérieux ou Carine, l’amazone guerrière, elle se vit dans l’excès. Un excès de chair et de plaisir qui conduiront peu à peu Clotilde à se perdre dans son propre dédale mental. « Et les visions se succèdent dans l’hallucination du rat » Toute cette galerie de personnes qui s’opposent et s’attirent, humains, animaux ou fantasmes, est magistralement poétisée par Patrick Grainville qui grâce à ses qualités littéraires nous embarque dans un monde sensuel et merveilleux dans lequel nous évoluons avec grâce et aisance. Le choix du narrateur, omniscient du rat, apporte un regard inquiétant et onirique sur la vision du monde. Chacun est enfermé dans sa névrose, essayant de sortir de sa condition par le rêve, les relations aux autres est une gageure. Seul le rat, dont le destin est tracé, condamné à résoudre les pièges de son maître, semblable à Sisyphe poussant son rocher, semble acquérir un semblant de bonheur, insupportable aux yeux de ceux qui luttent à chaque instant sans connaître leurs ennemis. Roman d’apprentissage sur la liberté, les choix de vie et les réminiscences du passé, Patrick Grainville nous entraîne dans un monde à la fois poétique et violent qui vous dégoûtera à vie du poulet rôti du dimanche.
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Lumière du rat Patrick Grainville Ed. Seuil 0 p / 0 € ISBN:
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