Dans une chambre d’hôtel quelconque, Ari Najman tente de reconstituer une nuit d’ivresse, et sous ses paupières lourdes, c’est le monde qui "se reconstitue et grimace". Son monde, dans lequel on entre, page à page, avec une précision qui démasque la journaliste derrière l’auteur. Dorothée Janin livre une oeuvre incisive et subtile, loin de ces premiers romans autobiographiques, touchants mais maladroits. Ari Najman, "charmant gros con", avide de derrières moulés en 34-36 et arrogant à souhaits, arpente les rues et les soirées pour oublier son quotidien et ses angoisses. Il a peu de recul sur lui-même mais assez pour s’avouer « tordu », tenter de vivre avec. Selon le principe même de sa sale profession d'avocat, héritage paternel très lourd, Ari ressent un plaisir intense et malsain à "plonger la tête et les mains dans des faits divers sordides". Lors de ses nuits blanches, il se rue sur des dossiers remplis des tonnes de clichés gores et froids issus d’archives de médecines légales ou de sites trashs. C’est ainsi que les jours de la vie d’Ari se succèdent sur des pages souvent amères. Mais malgré les signes extérieurs de satisfaction, sa vie sentimentale est un fiasco et sa notoriété d’avocat n’atteindra jamais l’exception que représente son père, auréolé par les doubles figures de résistant et de rescapé des camps. La comédie humaine Comment gérer les cartes qu’on nous a laissées en héritage et celles que l’on aimerait voler à son voisin ? Comment faire de ses faiblesses des forces, et comment, enfin, ne pas se laisser emprisonner par sa capacité à convoquer le pire ? Ari est harcelé par ses innombrables souvenirs. A n’importe quel instant, ils peuvent lui remonter en pleine tête avec une précision insoutenable. Comme tout un chacun, il a son lot de malheurs mais ne parvient pas à savoir quoi en faire. Son présent est ennui. Son passé surabonde et son futur n’a aucune lumière. Ce livre explore les différentes réactions face au drame, à l’implacabilité des faits. La notion de famille y est disséquée habilement et on revisite aussi la mémoire complexe de la seconde guerre mondiale. C’est toujours dans la limite extrême que se dévoilent les failles, c’est ainsi que le père d’Ari, reconnu et respecté pour son action de résistant, continue à donner des conférences devant des étudiants pour lesquels il ne ressent plus que de la haine et de la hargne. Il n’oublie pas ses camarades morts dans les camps ou au combat et n’accepte pas les autres. Il crée une barrière infranchissable qui rend sa propre famille mal-aimée. Ari voudrait-il être son père ? Lui envie-t-il la souffrance qu’il ne parvient pas à ressentir ? Si ce roman ne prétend donner aucune réponse aux grands questionnements de l’histoire et de l’intime, il en dit long sur cette drôle de chose qu’est la vie sur terre…
Michel Olivia
La vie sur terre Dorothée Janin Ed. Denoël 282 p / 0 € ISBN: 9782207259
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