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01

Mai

2004

Lettres et peinture : une valse de deux siècles
Écrit par L'équipe de Zone   
Il a dit peinture et littérature. Sur le coup, très inspiré, j’ai répondu que oui, ça marchait, ça pouvait se faire sans effort, tant j’entrevoyais une foultitude de choses concernées par ces trois mots. Au moment de caresser l’idée de m’y mettre, tout avait foutu le camp et plus j’essayais d’y penser et plus ça foutait le camp. Un grand vide à la Malevitch ! Alors, j’ai eu de vilaines pensées de traverse…Il aurait pu dire pinard et littérature et j’aurais bravement pinardé sur le Chasse-Spleen. Le reste aurait bien suivi : méticuleuse prose appliquée au sujet.
Et c’est comme ça que c’est venu. Par la prose du Transsibérien (1). Genre écriture automatique à la Gorky (2), tachisme à la Victor Hugo (3), façon Rorschach, la mémoire a recouvré ses droits, étendu ses territoires. Delaunay-Terk et Cendrars, Braque, Picasso, Reverdy et Jacob, Apollinaire et Dufy (4). Notes éternelles du Présent (5) et le Bestiaire (6) que refuse Pablo (7), alors c’est Raoul qui s’y colle. Les peintres et les poètes…je peux lui en inventorier une palanquée à la Prévert. Depuis les Impressionnistes, ils ont pas arrêté de fourrager ensemble. Même les romanciers se sont laissés tenter par la gaudriole du rapin. Regarde Zola qui dézingue son copain Cézanne dans l’Œuvre (8). Zola préfère Manet qui le lui rend bien dans un portrait (9) encombré de japonaiseries. Manet aime bien Mallarmé aussi et l’Après-midi d’un faune (10). Est-ce qu’on cause musique (11) et danse au passage, petite parenthèse en passant sur comment tout se mélangeait à l’époque ?

De l'encre sur la toile

Fin dix-neuvième, début vingtième, allez ! de la Commune à la Grande Guerre, quel pied on prend ! Normal, c’est la grande époque de formation des avant-gardes. Les futuristes italiens inventeront le mot, d’ailleurs. Cocteau parade avec rideau de scène par Picasso (12). Apollinaire calligramme et néologise : l’Orphisme de Delaunay c’est lui, illuminé, qui forge le terme.

Et l’enluminure alors ? Cet anagramme très approximatif de peinture et littérature. Ça cause bien littérature mais cynégétique dans le Livre de la chasse de Gaston Phoebus (13). Et ça cause aussi dans les prédelles des tableaux Renaissance, sans pour autant raconter des romans. Il faudrait trouver des peintres qui écrivent ou le vice versa. Et pourquoi pas des chanteurs qui auraient aimé être peintres et qui écriraient des romans sur la peinture ? Evguénie Sokolov, l’opuscule scato de Gainsbourg (14), je peux bien lui fourguer aussi non ? C’est un peu plus gai que Paulhan (15) causant du patron, encore plus farouchement optimiste que Sonia (16) se prenant pour Icare et largement moins chiant que le lettrisme d’Isidore (17). Encore qu’Isidore, on en parle, on en parle et la mode en revient avec les années 60.

Ces années là ! Y avait bien Michaux qui faisait dans le poète peintre ou peintre poète, un doux délire à la Hugo dont je parlais plus haut. Mais il faut se recentrer sur le sujet, révérencieux d’abord et avant tout, attaquer dans l’universitaire qui se pose : ce vaste sujet que nous entreprenons d’étudier est presque aussi vieux que l’histoire de l’homme. Et tiens ! C’est vrai qu’on n’a pas parlé de la Bible, cette pieuse littérature grande consommatrice d’images. Divines images et saint-sulpiciennes s’il en fut ou d’Épinal c’est selon, mais peut-être l’une des sources premières (18) du sujet que nous abordons aujourd’hui par la grâce de Zone littéraire.

Soeurs jumelles, soeurs ennemies ?

En bon universitaire, pour ne pas perdre le fil, il aurait fallu poser les termes du problème : peinture, littérature, le « et » au pilon. Encore que, c’est bien lui qui mélange les genres. Peinture, je vois bien depuis la Préhistoire. Littérature, quasi pareil mais depuis l’écriture. L’un avec l’autre, ça se complexifie. Alors continuons de biaiser. Je vois bien un écrivain qui a fondé un genre de littérature qui fit école. On pouvait pas oublier Diderot. Les fameux Salons de Diderot, où page après page on se vautre dans la peinture. Et comme il faisait pas les choses à moitié, il a aussi essayé sur la peinture. Voici qui nous ramène enfin à notre sujet : « Il me semble qu’il y a autant de genres de peinture que de genres de poésie : mais c’est un division superflue. » (19) Eh oui ! la hiérarchie des genres, je l’aurais presque oubliée en route si je n’étais pas parti me replonger dans Diderot. Oublier le grand genre, c’était masquer tout un pan, peu soupçonnable de premier abord, où peinture et littérature s’acoquinent. Vous fais-je une rapide compilation éclairante ? Le Serment des Horaces (20), La Mort de Sardanapale (21), et après, tout le grand fatras des pompiers, des académiques qui peignent avec la plume d’un grand écrivain, d’édifiantes scènes où, aujourd’hui, il faut bien le dire, le péquin moyen ne comprend plus grand chose. Mais pourtant, à la grande époque de la peinture d’histoire, pour être artiste fallait avoir des lettres : les grands anciens grecs et latins, puis les modernes, Shakespeare et compagnie. Ah si Byron l’avait point été là, l’Eugène (22) l’aurait moins mis le feu aux défroques néo-classiques….Tout ça me rappelle, que Courbet mit les pieds dans le plat. Avec lui, assez de peinture littéraire ! et voici le grand divorce des arts et des lettres. L’artiste ne peint plus ce qu’un autre a écrit. Il peint ce qu’il voit. Tout pourrait devenir simple si les écrivains ne continuaient de contempler ce que peignent leurs copains. Alors voilà comment Baudelaire se lance dans la mêlée. Lui aussi fait son petit Diderot. Les Salons de l’un ont bien marché, il se fait un remix. Zola lui emboîte le pas et Apollinaire aussi. Décidément, peintres et écrivains sont inséparables.

Pendant ce temps la peinture avance en douce, sans la littérature. Les Impressionnistes auraient plutôt la fibre expérimentale et scientifique : à vouloir décomposer les couleurs pour capter la lumière, ils scrutent, regardent, observent et finissent par agacer le bordelais Redon qui juge leur peinture un peu bas de plafond. Du coup, les Symbolistes nous resservent une louche de littérature : Ophélie au fil de l’eau chez Redon (23) et Millais (24), Beata Beatrix chez Rossetti (25), les grands mythes chez Moreau (26) et, chez son élève Matisse (27), « Luxe, calme et volupté ». Heureusement que les cubistes préfèrent les bistrots, l’absinthe, les cartes et la musique : chez eux pas de littérature. Enfin pas tout à fait, parce qu’il y a la sacrée copine de Picasso, l’américaine à Paris, qui se pique de peinture, cette chère Gertrude qui dans son Autobiographie d’Alice Toklas (28) n’arrête pas de nous causer révolution plastique. On n’en sort pas. Quand c’est pas sur les toiles, c’est dans les bouquins. À moins, pire, que tout ne vienne se mélanger, dans une création totale : Dada, Surréalistes de tous pays qui s’unissent, le grand désastre : on est au cœur du sujet, complètement englouti. Dans les affiches, les revues (29), à la morgue… ressortons les cadavres exquis du placard ; au pastel au fusain, à l’encre, ils sont cosignés : Brauner, Valentine Hugo, Breton, Tzara, Tanguy, Eluard. Tous ils peinlittératurent, tous ces copains que Max Ernst a rassemblés dans un tableau (30) de 1922. La même année, Robert Desnos peint des mots dans la toile de la mort de Morise. Des mots dans la peinture, on en voit tout plein partout. Desnos en a truffé sa toile, Picabia est intarissable et tout ça, la faute à qui ? Aux cubistes dont je vous disais qu’ils faisaient rien qu’à taper le carton et jouer de la guitare dans leurs natures mortes, jusqu’au moment où ils se sont mis à coller tout et n’importe quoi sur leurs toiles, à commencer par des mots.

On n’en sort plus ! Peinture et littérature, c’est pas un sujet de papier mais un gouffre. Sans compter que ça intéresse plein de monde et la preuve même sur Internet si on tape peinture et littérature, ô miracle, on tombe sur quoi ? Un appel à contribution de la Société française de littérature générale et comparée. Et le sujet c’est quoi à votre avis ? Ben tout simplement : Peinture et littérature au XXème siècle. Ce sera en novembre 2004 au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Qui sait ? J’arriverai peut-être à me faire inviter si j’enfile ma panoplie de docteur en histoire de l’art… (31)


Jean-Pierre Mélot




Docteur en histoire de l’art, Jean-Pierre Mélot est adjoint du conservateur du Musée des Beaux-Arts du Havre (Musée Malraux) et enseigne à l’École du Louvre. Il a notamment signé le texte du catalogue de l’exposition de Michel Danton à Guéthary, Éloge de la marge ou Petites digressions en marge (Musée de Guéthary-La Visitation, 2004) et celui du catalogue de l’exposition de Jeannette Leroy (Jeannette Leroy, seconde nature, Séguier, 2002).




Notes

1. Blaise Cendrars : La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, couleurs simultanées de Sonia Delaunay-Terk, Paris, Editions des hommes nouveaux, 1913.
2. Arshille Gorky, peintre vivant aux Etats-Unis dans l’Entre-deux-guerres et qui reprend dans sa peinture la technique de l’automatisme mise au point par les surréalistes. Il est l’une des sources de l’Expressionnisme abstrait américain.
3. Un écrivain peintre qu’on ne présente plus, qui a cultivé la création intuitive à l’encre, au marc de café…Dans la série des écrivains peintres, on consultera avec profit l’œuvre pictural trop méconnu du suédois August Strindberg : Strindberg peintre et photographe, Stockholm, National Museum, Copenhague, Stateus Museum for Kunst, Paris, Musée d’Orsay, 2001-2002.
4. Sur les collaborations entre peintres et écrivains, l’ouvrage fondamental demeure : François Chapon : Le peintre et le livre. L’âge d’or du livre illustré en France, 1870-1970, Paris, Flammarion, 1987. Une pure merveille!
5. Ouvrage de Reverdy qui analyse l’œuvre de quelques-uns des grands peintres cubistes dont Picasso et Juan Gris. Reverdy Pierre, Notes éternelles du présent, écrits sur l'art, 1923-1960, in Œuvres complètes, vol. 14, Flammarion, 1989.
6. Guillaume Apollinaire : Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, illustré de xylographie de Raoul Dufy, Paris, Deplanche, 1911.
7. Apollinaire avait d’abord sollicité Picasso, celui déclinant l’offre de collaboration, le poète s’est tourné vers Dufy, qu’il connaissait bien car il avait préfacé pour lui et ses amis Friesz et Braque le catalogue de l’une des expositions du Cercle de l’Art Moderne au Havre.
8. Roman publié par Emile Zola en 1886. Sa publication signe la fin de l’amitié qui le liait au peintre d’Aix.
9. Edouard Manet : Portrait d’Emile Zola, huile sur toile, 1867-68, Paris, musée d’Orsay. Outre qu’il témoigne de l’influence grandissante du japonisme, ce tableau rend un hommage appuyé à l’écrivain et au journaliste, défenseur inconditionnel de la peinture réaliste et impressionniste. Zola est représenté à sa table de travail, environné d’estampes, dont une reproduction de la fameuse Olympia. Un panégyrique de la modernité au XIX° siècle, dans la lignée de Baudelaire, réclamant à cors et à cris, la venue d’une peintre de la modernité.
10. Stéphane Mallarmé : L’Après-midi d’un faune, frontispice, fleurons et cul-de-lampe par Edouard Manet, Paris, Alphonse Derenne, 1876. Manet est aussi l’auteur d’un portrait du poète : Edouard Manet : Portrait de Stéphane Mallarmé, huile sur toile, 1876, Paris, musée d’Orsay.
11. On aurait pu parler sans trop s’éloigner du sujet des fameuses correspondances que chérissait Baudelaire et évoquer les Ballets russes, le Prélude à l’Après-midi d’un faune….Nijinsky, décors et costumes de Léon Bakst ! Créé en 1912 sous forme de ballet, et en 1894, avec la musique de Debussy.
12. Parade, ballet, argument de Jean Cocteau, musique d’Erik Satie, décors et costumes par Picasso, créé scandaleusement le 18 mai 1917. Monument historique de la création d’alors : Apollinaire écrit pour la première fois à propos de cette création un mot nouveau : surréaliste. Le roi du néologisme qui fait florès Apollinaire !
13. Ouvrage du XV° siècle, agrémenté d’enluminures dues à un proche du Maître de Bedford. Conservé à la Bibliothèque Nationale de France.
14. Serge Gainsbourg : Evguénie Sokolov, Paris, Gallimard, 1980.
15. Jean Paulhan : Braque le patron, Genève-Paris, Trois collines, collection les grands peintres par leurs amis, 1946.
16. Sonia Delaunay-Terk : Nous irons jusqu’au soleil, Paris, Laffont, 1978. Ouvrage de Sonia Delaunay sur son parcours en peinture et celui de son mari Robert Delaunay, créateur de l’Orphisme.
17. Isidore Isou, créateur du Lettrisme et l’un des principaux protagonistes de ce mouvement international qui, à partir de 1946, révolutionne la poésie graphique et sonore.
18. La peinture religieuse puise dans les textes bibliques. Voir à ce propos les livres d’heures, genre les Très riches heures du Duc de Berry et aussi bien évidemment, toute la peinture qui a abondamment illustré le saint livre et dont regorgent nos églises et nos musées.
19. Diderot : Essais sur la peinture. Salons de 1759,1761,1763, Paris, Hermann, Editeurs des Sciences et des Arts, 1984, p. 65.
20. Jacques Louis David : Le Serment des Horaces, huile sur toile, 1784, Paris, Musée du Louvre. Episode raconté notamment par Tite-Live, César et bien sûr Corneille.
21. Eugène Delacroix : La Mort de Sardanapale, huile sur toile, 1827, Paris, Musée du Louvre.
22. La Mort de Sardanapale ou Hamlet et Horatio s’inspirent d’œuvres de Lord Byron.
23. Odilon Redon : Ophelia, pastel, vers 1900-1905, New York, coll. Wildenstein and Co.
24. John Everett Millais : Ophélie, huile sur toile, 1852, Londres, Tate Gallery. Ne nous étonnons pas de la date qui pourrait faire croire à un anachronisme. En matière de symbolisme les anglais furent des précurseurs.
25. Dante Rossetti : Beata Beatrix, huile sur toile, 1863, Londres, Tate Gallery.
26. Notamment celui de Salomé que l’on trouve aussi chez Oscar Wilde pour lequel Beardsley donnera des illustrations.
27. Henri Matisse : Luxe, calme et volupté, huile sur toile, 1904, Paris musée d’Orsay. Matisse s’inspire de l’Invitation au Voyage de Baudelaire. Matisse a travaillé à plusieurs reprises autour des œuvres de Baudelaire.
28. Gertrude Stein : Autobiographie d’Alice Toklas, publié en 1933. L’écriavain y raconte son mode : Picasso, Braque, Matisse, Laurencin…
29. Voir par exemple la Une de Erutarretil, n°11-12, octobre 1923.
30. Max Ernst : Au rendez-vous des amis, 1922, huile sur toile, Cologne, Wallraf-Richartz Museum.
31. http://www.vox-poetica.org/sflgc/info/18.html



Illustration

© Michel Danton : Légendée, technique mixte, 2004.

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