Peu après les "évènements" du 11 septembre 2001, New York subissait un second choc : une coupure de courant généralisée sans précédent. Tel est le point de départ et la trame de fond de Noir dehors. Que peut-il y a voir de commun entre Naomi, jeune prostituée orpheline et toxicomane, Simon, brillant avocat, et Canal (du nom de la rue où il a été retrouvé), jeune Chinois autodidacte et orphelin, exploité par le marchand qui l’a recueilli ? Rien a priori, si ce n’est leur commune résidence dans la moderne et cosmopolite New York. Étant donné la densité et le fourmillement de cette industrieuse cité, la probabilité pour que de tels êtres se rencontrent tendait vers le néant. C’était sans compter sur cette panne d’électricité qui a frappé la ville de ses bas-fonds jusqu’aux gratte-ciels, rétablissant ainsi temporairement un semblant d’égalité entre les hommes. Car s’il y a une technologie omniprésente et dont la privation laisse ses contemporains fort dépourvus, il s’agit bien de l’électricité. Par grand froid ou par temps de canicule, elle seule est capable de protéger nos fragiles organismes contre les vicissitudes et les caprices du dehors. Aussi lorsqu’elle disparaît, c’est sur ses propres ressources et sa capacité réflexive que chacun se voit contraint de se recroqueviller. En effet, quoi de plus superflu qu’une carte de crédit, aussi gold soit-elle, quand tous les distributeurs automatiques sont condamnés au mutisme en l’absence d’alimentation énergétique ? Simon le nanti fait durement l’expérience de cette rude et subite abolition des privilèges. Drôle d’endroit pour une rencontre C’est ainsi qu’il se met en voie d’un lieu moins hostile que les chaussées bitumées, d’un refuge pour passer la nuit. À l’issue d’une errance au cours de laquelle il prend plus que jamais conscience de son extrême solitude et de la duperie que représentait à ses yeux la quiétude d’une vie familiale prétendument modèle, il arrive dans une église, qui, telle l’arche de Noé, constitue le point de ralliement de toutes ces âmes perdues. Une atmosphère apocalyptique y règne, cadre d’une tragédie des temps modernes dans laquelle l’homme, même surprotégé, témoigne d’une profonde faiblesse. Car si l’obscurité effraie, c’est bien parce que, tel un révélateur photographique, elle met en lumière la déshumanisation urbaine et éclaire le mal-être de chacun. Que l’on se prénomme Simon, Canal ou Naomi, homme ou femme, c’est avant tout contre l’âpreté et la violence du quotidien que l’on s’efforce de lutter en s’évadant. Pour cela, à chacun son remède : tandis que l’un se repaît de ses fantasmes, l’une se soulage dans la drogue et l’autre se ressource dans la philosophie zen. À la croisée des destins Sans jamais sombrer dans le pathétique, Valérie Tong Cuong pointe ainsi les faiblesses particulières de chacun et la commune solitude plus que jamais pesante dans la froideur des grandes villes dont elle fait de New York l’emblème. Croisant des destins aussi divers que probables, elle capte également avec subtilité l’atmosphère à la fois enivrante et oppressante de cette capitale mythique. Il y a en cela quelque chose de profondément cinématographique dans la composition de son récit. L’on pense inévitablement à certains films de Scorsese pour ce qui est des bas-fonds de la ville, et à l’itinéraire nocturne qu’elle nous propose comme voie vers une rédemption. Mais aussi à Do the right thing de Spike Lee pour l’évocation de cette chaleur insupportable et de la tension latente qu’elle traduit et contribue à faire exploser. Et enfin à la flmographie de Quentin Tarantino pour la juxtaposition et l’alternance des points de vue. Alors, noir le scénario de Valérie Tong Cuong ? Dehors, peut-être. Après tout les éclipses sont rares. Mais certainement pas aux tréfonds de l’âme humaine pour qui cette nuit de tous les dangers devient aussi celle de tous les possibles. Laurence Bourgeon
Zone Littéraire correspondant
Noir dehors Valérie Tong Cuong Ed. Grasset 0 p / 14 € ISBN: 2246694612
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