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06

Fév

2006

Noir, c’est noir ?
Écrit par L'équipe de Zone   
Peu après les "évènements" du 11 septembre 2001, New
York subissait un second choc : une coupure de courant
généralisée sans précédent. Tel est le point de départ et la
trame de fond de Noir dehors.


Que peut-il y a voir de commun entre Naomi, jeune prostituée
orpheline et toxicomane, Simon, brillant avocat, et Canal (du
nom de la rue où il a été retrouvé), jeune Chinois autodidacte et
orphelin, exploité par le marchand qui l’a recueilli ? Rien a priori,
si ce n’est leur commune résidence dans la moderne et
cosmopolite New York. Étant donné la densité et le
fourmillement de cette industrieuse cité, la probabilité pour que
de tels êtres se rencontrent tendait vers le néant. C’était sans
compter sur cette panne d’électricité qui a frappé la ville de ses
bas-fonds jusqu’aux gratte-ciels, rétablissant ainsi
temporairement un semblant d’égalité entre les hommes. Car
s’il y a une technologie omniprésente et dont la privation laisse
ses contemporains fort dépourvus, il s’agit bien de l’électricité.
Par grand froid ou par temps de canicule, elle seule est capable
de protéger nos fragiles
organismes contre les vicissitudes et les caprices du dehors.
Aussi lorsqu’elle disparaît, c’est sur ses propres ressources et
sa capacité réflexive que chacun se voit contraint de se
recroqueviller. En effet, quoi de plus superflu qu’une carte de
crédit, aussi gold soit-elle, quand tous les distributeurs
automatiques sont condamnés au mutisme en l’absence
d’alimentation énergétique ? Simon le nanti fait durement
l’expérience de cette rude et subite abolition des privilèges.

Drôle d’endroit pour une rencontre

C’est ainsi qu’il se met en voie d’un lieu moins hostile que les
chaussées bitumées, d’un refuge pour passer la nuit. À l’issue
d’une errance au cours de laquelle il prend plus que jamais
conscience de son extrême solitude et de la duperie que
représentait à ses yeux la
quiétude d’une vie familiale prétendument modèle, il arrive dans
une église, qui, telle l’arche de Noé, constitue le point de
ralliement de toutes ces âmes perdues. Une atmosphère
apocalyptique y règne, cadre d’une tragédie des temps
modernes dans laquelle l’homme, même surprotégé, témoigne
d’une profonde faiblesse. Car si l’obscurité
effraie, c’est bien parce que, tel un révélateur photographique,
elle met en lumière la déshumanisation urbaine et éclaire le
mal-être de chacun. Que l’on se prénomme Simon, Canal ou
Naomi, homme ou femme, c’est avant tout contre l’âpreté et la
violence du quotidien que l’on s’efforce de lutter en s’évadant.
Pour cela, à chacun son remède : tandis que l’un se repaît de
ses fantasmes, l’une se soulage dans la drogue et l’autre se
ressource dans la philosophie zen.

À la croisée des destins

Sans jamais sombrer dans le pathétique, Valérie Tong Cuong
pointe ainsi les faiblesses particulières de chacun et la
commune solitude plus que jamais pesante dans la froideur
des grandes villes dont elle fait de New York l’emblème.
Croisant des destins aussi divers
que probables, elle capte également avec subtilité l’atmosphère
à la fois enivrante et oppressante de cette capitale mythique. Il y
a en cela quelque chose de profondément cinématographique
dans la composition de son récit. L’on pense inévitablement à
certains
films de Scorsese pour ce qui est des bas-fonds de la ville, et à
l’itinéraire nocturne qu’elle nous propose comme voie vers une
rédemption. Mais aussi à Do the right thing de Spike Lee
pour l’évocation de cette chaleur insupportable et de la tension
latente
qu’elle traduit et contribue à faire exploser. Et enfin à la
flmographie de Quentin Tarantino pour la juxtaposition et
l’alternance des points de vue. Alors, noir le scénario de Valérie
Tong Cuong ? Dehors, peut-être. Après tout les éclipses sont
rares. Mais certainement pas aux tréfonds de l’âme humaine
pour qui cette nuit de tous les dangers devient aussi celle de
tous les possibles.

Laurence Bourgeon

Zone Littéraire correspondant

Noir dehors
Valérie Tong Cuong
Ed. Grasset
0 p / 14 €
ISBN: 2246694612
 
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