Enseignement et déboires avec Francois Bégaudeau que nous suivons à Paris intra-muros, au cœur d’un collège public du 19ème arrondissement. Pas facile tous les jours, m’sieur ! Enseigner, quel beau métier ! Peut-être le plus beau du monde à ce qu’on dit... La transmission du savoir, le partage, autant de sources de réjouissances... Bien des choses ont changé pourtant depuis les blouses obligatoires et les phrases de morale quotidiennement affichées au tableau. À présent ce sont les marques américaines et les numéros des footballeurs fétiches qui ornent tour à tour le dos des collégiens. Eux-mêmes aussi charmants et bigarrés que l’origine de leurs prénoms et le panachage de leur vocabulaire. Mais il n'y aurait plus de respect de l’autorité ni des anciens déplorent certains. N’oublions pas non plus que les parents de Souleymane, de Tarek ou de Mezut ont certainement connu une enfance un tantinet différente de celles des Français "AOC". Déracinement géographique, réinsertion culturelle et sociale, et souvent perte de la langue maternelle, inévitablement, ça brouille certains repères. Aussi les nouveaux hussards noirs de la république en charge de la transmission du sacro-saint "socle commun de connaissances" se trouvent-ils fort dépourvus lorsqu’ils se voient en charge de préparer pêle-mêle au Brevet des Chinois arrivés de fraîche date et d’autres "sauvageons" plus intégrés. Les circulaires et réunions au sommet ont beau se multiplier, les décisions jargonnantes qui en résultent tendent à demeurer lettres mortes. Du coup, c’est derrière l’instauration d’un rituel quasi-policier qu’ils se réfugient, faisant du remplissage des fiches d’incident et des rappels à l’ordre un véritable leitmotiv. Docu-fiction Entre les murs : roman ou témoignage ? Un peu des deux, évidemment. Alternant les confrontations avec les classes et les conversations entre membres de la congrégation enseignante, Bégaudeau témoigne avec une sympathie satirique du quotidien de ces professeurs, souvent apparenté à un labeur et un combat répétitif. Ce qui est un peu pesant parfois pour le lecteur qui aimerait une évolution plus rapide mais éprouve ainsi toute la pesanteur de leur quotidien... À qui la faute pourtant ? À ces jeunes si dissipés ou à ces professeurs méritants à qui la patience fait toutefois fréquemment défaut ? Avec une ironie filée, Bégaudeau ne se prive en effet pas de questionner la République sur l’adéquation de ses valeurs aux mutations de la société française, et surtout de titiller la sincérité des profs. Certains semblant plus attirés par le fonctionnariat et ses avantages que par une vocation de pédagogue. Le profil du premier de la classe tant apprécié a peut-être disparu. mais rien n’est moins sûr. Et les professeurs sont loin d’être irréprochables. On reprend pour les deux du fond C’est en effet bien de la langue de Molière dont il est aussi et d’abord question dans cet ouvrage profondément oral dans sa composition où les dialogues l’emportent. Nul hasard donc à ce que ce soit à un professeur de français que François Bégaudeau ait choisi de s’attacher plus particulièrement. Plus qu’en pédagogue, c’est en interprète qu’il se doit d’agir. À l’art de manier l’euphémisme et le politiquement correct de nombre de ses supérieurs, il doit associer et arbitrer le naturel sans vergogne de ces jeunes parfois décourageants mais finalement souvent attachants dans leur sincérité. À l’encontre du conseil proféré à un de ces élèves pour la réalisation d’une rédaction, Bégaudeau écrit donc comme on parle. Un peu paradoxal pour un écrivain de prime abord. Profondément efficace en réalité puisqu’il parvient ainsi à lier les langues de bois de ses supérieurs aux langues de vipères des collégiens. Ainsi produit-il un véritable plaidoyer pour la langue comme vecteur d’intégration et base fondamentale des échanges humains et fondement de l’identité dans les possibilités de réappropriation qu’elle offre. Le réalisateur Abdellatif Kechiche avait déjà proposé ce pont qu'est le langage dans son très beau film L'Esquive, sorti en 2004. Aussi triturés, déformés, et recomposés qu’ils soient, les mots demeurent au cœur de tout échange et forme de communication humaine. S’ils témoignent inévitablement d’un certain décalage entre générations et classes sociales, ils sont surtout le signe de l’évolution de la matière langagière. Ce qui est malgré tout un bon signe d’adaptation et de résistance du français en ces temps d’anglicisation et de mondialisation. Détourné ou en verlan il résiste et demeure l’objet d’un profond respect. En témoigne l’obstination touchante de cet élève qui s’obstine à réclamer des dictées à chaque cours de français. Au terme d’un constat quelque peu sévère, au cours duquel le lecteur a parfois tendance à s’essouffler, une certitude toutefois : les gentils petits diables d’aujourd’hui ne demandent qu’à être entendus et compris. Et si les scores des matches de leurs équipes favorites rythment l’année avec plus d’efficacité que les contrôles, il est clair que chacun doit apprendre à peser ses mots. Laurence Bourgeon
Zone Littéraire correspondant
Entre les murs François Bégaudeau Ed. Verticales 0 p / 16 € ISBN: 2070776913
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