11 Mai 2010 |
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Le poids des mots, le choc des neutrons : quand une fiction radioactive acclamée de tous – La centrale, d’Elisabeth Filhol (Ed. POL) – se confronte à un essai obscur sur la naissance de la bombe A pakistanaise – Atomic Bazaar de William Langewiesche (Ed. Allia) – le plus haletant n’est pas forcément celui que l’on croit, comme le prouve l’histoire géniale du Dr. Abdul Qadeer Khan, le mauvais génie des armes de destruction massive. Au royaume du fissile tiers-mondiste, les félés sont rois. Soixante cinq ans après l’explosion des bombes d’Hiroshima et Nagasaki, qui en a oublié le panache magnifique, la chaleur mortelle et le rayonnement qui, traversant le temps, continuera d’imprimer les mémoires encore longtemps ? Personne. Par une chance extraordinaire, l’Humanité est déjà passé une bonne demie douzaine de fois à côté de la vitrification terminale sur un malentendu. Si nous devons au destin – et au téléphone rouge – de ne pas avoir été transformé en presse-papier style Murano, c’est aussi parce que l’atome sait être sage : les centrales nucléaires en sont le pendant civilisé. Bouilloires électriques, chauffages électrique, voitures électriques… ce qui tue en un instant meut sur des décennies. Cela, Elisabeth Filhol l’a bien compris. Admirable de maîtrise narrative et de compacité, La centrale décrit les conditions de vie de la « chair à neutron », qui travaille à l’entretien des 58 réacteurs français : Chinon, Tricastin ou Blayais… Une population nomade, déracinée, ménée d’Atome ville en Atome ville au gré des arrêts de tranche, quand les réacteurs s'arrêtent pour vidange et le plein d'uranium. Un peu à côté de l’humanité, que les « héros » de la romancière fréquentent finalement peu. Foncièrement sociale, la vision de Filhol s’attache aux pas d’un intérimaire prêt à exposer son corps à la morsure des rayonnements contre un bon salaire et une vie de bohème, entre campings et mobil-homes. Des DATR, « directement affectés aux travaux sous rayonnements », en langage EDF : « Ce que chacun vient vendre, c'est ça, vingt millisieverts, la dose maximale d'irradiation autorisée sur douze mois glissants », résume bien l’auteur. On saluera au passage le travail de fourmi de Catherine Pozzo di Borgo, documentariste et universitaire, auteure d’Arrêts de tranche, les trimardeurs du nucléaire, qui a insufflé une partie du roman. Incarcérés dans la centrale Dans La centrale, le travail de Filhol, écrivain estampillée « nouvelle génération » rompue aux codes des entreprises est fondé, réaliste… et austère. Tout à son travail d’édification sur les réalités industrielles, Elisabeth Filhol a perdu quelque chose en route. Quelque chose de grand, de magnifique, d’explosif, d’inoubliable… de nucléaire, quoi. Les personnages de Filhol sont a contrario coincés dans une désespérance morne, crâmés par les scialytiques, épuisés par les normes, stérilisés dans un univers à l’esthétique aussi baroque qu’une plaquette de com’ d’Areva. La lecture s’en ressent, on sort de la séance de Strip-tease nucléaire plus édifié que diverti.Loin, bien loin de ces enceintes de confinement se trouve le monde décrit dans Atomic Bazar, censément plus juste que celui de La Centrale car réel, pour le coup. William Langewiesche est le correspondant international de Vanity fair, personnalité fantasque, pilote à ses heures, on retrouve dans sa bio un bon goût de journalisme façon tête brulée comme il n'en existe plus guère. Sorti en 2007 aux USA, Atomic Bazaar a été courageusement, bien que parfois bancalement, traduit par Allia en cette glorieuse année 65 de l'ère atomique. Proprement hallucinant de précision et de pédagogie, le grand reporter raconte par le menu l'histoire "des" bombes, celles que s'arrachent les fous, les potentats et les rebelles de l'Ordre mondial. Tout le monde veut la Bombe Et au beau milieu de cet univers où le dernier James Bond passerait pour une rom'com', le derviche des centrifugeuses, de celles qui permettent d'enrichir l'uranium : AQ Khan, magnat tiers mondiste et mégalo. Vous en apprendrez beaucoup sur l'Irak et les trop fameuses armes de destruction massive, la Corée du Nord, visiterez des villes secrètes au beau milieu de l'ex URSS... Atomic Bazaar, ou comment édifier en démystifiant. On fait difficilement plus romanesque que ces altercations entre Inde et Pakistan, tous deux dûment équipés de missiles prêts à s'élancer, ou que ces descriptions plus que précises des voies d'évasion de quantités d'uranium - qualité militaire, SVP - depuis les taudis mal gardés qui constituaient avant les fleurons de la Russie communiste. Du Dantec grandeur nature, sans les soliloques. Langewiesche ne fait que de l'information et la fait bien. Cet électron libre de la presse a couvert le 11 septembre au plus près, la bataille d'Haditha en Irak - qui a également donné un film - dans la Conduite de la guerre. Un vrai pro. On ne déplorera qu'une fin de Bazaar un peu... bordélique, peut-être bousculée par l'actualité. En tous cas, au petit jeu de l'atome, l'entropie galopante d'Atomic Bazaar gagne notre prix de camaraderie haut-la-main face à une Centrale désertée et un poil trop propre. Avec de bons pitchs, des personnages extravagants, des intrigues géopolitiques amples et retorses, il va être de plus en plus difficile de se passer du nucléaire. Atomic Bazaar
La Centrale
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