Peut-on qualifier de « passionnant », un livre qui revient sur la déportation et les camps ? Assurément ! Et la fureur ne s’est pas encore tue, le dernier roman d’Aharon Appelfeld se trouve être fascinant…
Pas de leçons de morale, de politique ni même de prétention historienne dans cet ouvrage. Mais une histoire… étrange et pénétrante grâce à la clairvoyance de son personnage : une âme insondable qui, pourtant, voyage dans la mémoire individuelle et collective. L’histoire de Bruno Brumhart « l’homme sans main », le manchot : ni héros, ni antihéros. Encore moins victime. Simplement un homme qui n’est pas différent des autres.
Reviens si tu peux Au lendemain de ses cinquante ans, Bruno se remémore les tranches de vie marquantes de son existence. Une vie qui commence dans la fureur. Amputé de sa main droite à l’âge de trois ans, il grandit dans la solitude, sans cesse méprisé et objet de moqueries et de brimades. Son seul atout : une volonté de fer et une rage puissante. L’entraînement physique intense qu’il s’impose lui apporte une force qui lui permet de vaincre sa peur et de dépasser son handicap. Sans être réellement consacré à la Shoah, Et la fureur ne s’est pas encore tue se veut une rémanence de la mémoire du peuple juif . À travers le personnage de Bruno, Appelfeld retrace en effet un récit plus collectif. Comme s’il cherchait à atteindre l’universalité en scrutant l’âme humaine. Car c’est bien la vie intérieure qui intéresse l’auteur. Grâce aux souvenirs de Bruno, il tente de trouver le chemin du retour pour, peut-être, rentrer chez lui.
L’enfer c’est les autres Si chronologie il y a, elle n’est pas marquée par les dates, dont aucune n’est mentionnée dans la première partie du roman. Seulement des périodes de la vie du personnage : la petite enfance, l’école primaire, le lycée, le ghetto, la déportation, le camp de travail et son errance dans la forêt qui l’amènera à la construction d’un véritable petit empire qui financera des lieux d’accueils et de solidarité pour les rescapés. Cette apparente déconnection du temps fait la force de l’écriture du livre, parvenant même à nous faire oublier les événements historiques, pourtant trop bien connus, qui vont advenir. Projetés dans la tête de Bruno, nous perdons ce savoir pour vivre et découvrir à ses côtés la vie et le futur dans le ghetto. Dans une langue tout en retenue, avec une grande économie de mots, nous entrons dans l’enfer. La lucidité d’Appelfeld nous permet d’entrevoir les pensées, les doutes les plus profonds de Bruno, ainsi que ceux de ses compagnons. Et si ce n’est pas de comprendre tout ce qu’ils ont vécu, au moins de le partager. Sans angélisme, ni misérabilisme. Pour se souvenir.
Et la fureur ne s’est pas encore tue Aharon Appelfeld Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti Editions de l’Olivier 276p. - 20 euros
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