Mathieu Terence quitte l’univers lesbo-carcéral de l’excellent Technosmose pour le monde parano-patho-scientifique de L’Autre vie. Les adjectifs vont finir par manquer.
On peut affirmer sans beaucoup s’avancer que la littérature de Mathieu Terence ne ressemble à aucune autre. Le seul problème est de la décrire en termes intelligibles. Déjà son précédent opus Technosmose posait quelques problèmes : la simplicité du pitch – une femme s’échappe d’une prison futuriste – cachait une belle foison d’idées, allant des plus éculées au plus avant-gardistes. Combinant lecture sociale acérée et pathos pointu, ou l’inverse, la lecture d’un Terence doit s’aborder sans a priori. Ni science-fiction, ni anticipation, ni thriller, le petit nouveau L'Autre vie est une négociation. Après l’Iris Ferréol futuriste de Technosmose, Mathieu Terence met en scène en manière de héros Côme Syracuse, un rien paumé dans le Taïwan des années 2000. Le jeune français est engagé par une multinationale pour devenir officiellement webmaster du site Internet de sa filiale. Et officieusement espion en chef pour contrer toutes les tentatives de piratage industriel de concurrents chinois très envahissants. Une mission qui lui tient donc « hacker ». L’unicité de l’Autre vie tient à ce mélange savant entre un bon SAS pour l’histoire, mettons Rififi sur Formose, et de romantisme déboutonné.
China girl
Le clash possible entre les étais narratifs et les émaux stylistiques n’a pourtant pas lieu, le roman se pose là, homogène et stable. Il faut dire que la personnalité de Côme est attachante : parageek massivement paumé émotionnellement, le jeune homme cherche l’amour entre les jambes paralysées de jeunes filles hémiplégiques. En langage codé, c’est un « crippler », un amateur d’handicapées dans le monde du Net. Une première rencontre avec une jeune chinoise lui donnera le goût de cette perversion assumée, celle du métal contre la peau, du cuir prothétique contre les chairs mortes. Bizarre, direz-vous. Certes mais vaguement érotique aussi. Pourquoi les handicapées n’aurait elle pas droit au sexe après tout ? Contre espionnage électronique le jour et lutinage honteux la nuit, la vie de Côme est pour le moins irracontable. Sauf qu’évidemment tout va basculer à l’arrivée de Romina, pétulante dans sa chaise roulante. L’amour ! On arrêtera là le grand déballage du pitch, n’oublions pas que L’Autre vie est aussi un roman d’espionnage. Aller plus avant serait l’enterrer. Seul un reproche pourrait être fait à Terence : c’est trop court ! Le thème des biotechnologies, émergent en littérature, méritait bien plus que ces 176 pages en times 16 lesté d’une fin à l’emporte-pièce. Un sujet en or, mais pas facile de se hisser à la force du roman jusqu’à l’immortalité que procurent maintenant les cellules souches. La fin de la sénescence n’est elle pas assez romanesque, comme l'a bien prouvé Houellebecq ? Malgré quelques aphorismes bien sentis sur l’ère de la biopolitique qui s’annonce, le corpus est trop anecdotique pour appeler vision ces quelques clins d’œil inspirés. Le futur attendra.
L'Autre vie
Mathieu Terence Ed. Gallimard 176 p. - 13.90 €
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