Á mi-chemin entre les Autres d’Alejandro Amenàbar et le cinéma de Chabrol, suspense dévastateur dans l’ambiance sclérosée et angoissante d’une famille.
Une femme, accompagnée de ses deux enfants et de leurs valises, devant un portail qu’ils ne parviennent pas à ouvrir. « Autour d’eux, à perte de vue, une campagne sans relief, laide, la platitude des champs labourés. »
C’est finalement par une porte détournée, défoncée violemment par le petit garçon, que la maison cède son accès. Le temps béni de l’enfance n’existe pas chez Julia Leigh. Le corps intact non plus. Cette maison, c’est le « château », en français dans le texte s’il-vous-plaît. La vieille demeure au milieu de nulle part. Décor idéal pour un huis-clos familial au-dessus duquel planent toutes sortes de secrets. Univers intemporel brisé par quelques intrusions modernes (écran plasma, téléphone portable), c’est un monde totalement fantomatique dans lequel on peine à distinguer les morts des vivants.
Après dix années d’exil et de souffrance en Australie, la femme – ainsi nommée au cours du récit -, est de retour dans la demeure familiale. Elle y retrouve son frère Marcus, également revenu dans le giron maternel. Avec sa femme, Sophie, et leur enfant mort-né. Tous les personnages se retrouvent aspirés par l’organisation de l’enterrement. Mais Sophie n’est pas prête à se séparer du paquet contenant l’enfant mort. Celui qui, par opposition aux enfants de la femme, porte un nom, Alice. Nom emblématique d’un univers onirique et magique qu’il ne connaîtra pas dans ce monde, mais peut-être ailleurs.
Ailleurs, temps de l’espoir ou de la fin?
Le titre original du roman de Julia Leigh est Disquiet , adjectif qui qualifie parfaitement l’ambiance du récit. Mais Ailleurs lui confère un sens plus philosophique. Que représente cet ailleurs ? Le temps supposé d’un monde plus supportable ? Ou l’abandon du monde terrestre et réel ? Chacun tente maladroitement de trouver son « ailleurs ». La femme boit pour oublier sa précédente vie en Australie. Et semble toujours au bord du suicide. Les enfants, abandonnés par l’innocence de leur âge, tentent de fuir la maison mortifère. Ils préfèrent les affres du lac à l’ambiance terrifiante du château. Marcus choisit l’adultère, perpétuant ainsi la tradition familiale. Cela le tient à distance de sa femme et de la paternité.
Dans ce roman très court, le procédé de l’auteur est dans l’économie de détails. La désincarnation des trois personnages principaux interdit une représentation formelle. L’histoire ne dure que quelques jours. Peu de dialogues. Les silences significatifs des personnages en disent pourtant long sur la complexité de leurs rapports. L’écriture de Julia Leigh, épurée à l’extrême, laisse une place totale à l’imagination. Et lui permet d’entrer dans le classement des « 21 auteurs pour le XXIe siècle » défini par l’Observer. On attend avec impatience les prochaines années de ce siècle béni.
Ailleurs de Julia Leigh Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau Éditions Christian Bourgois – 15 euros ISBN : 978 2 267 01995 7
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