Confrontation tragique entre un professeur de philosophie érudit et terne, et une jeune serveuse aguicheuse et inculte. Ou quand le désir dévaste l’intelligence et la raison d’un homme.
Boue est le récit de la rencontre entre Benito Torrentera, cinquantenaire fauché et Flor Eduarda, jeune femme sexy et inconséquente. Après seulement quelques vagues échanges à la supérette du coin où travaille Eduarda, celle-ci se pointe un soir chez Benito en lui demandant l’hospitalité pour quelques jours. Le professeur, noyé dans la solitude et la frustration, l’accueille sans poser la moindre question. Ce n’est qu’au bout de quelques jours qu’elle avoue un vol et un meurtre. Benito voit immédiatement dans cette situation l’occasion de sortir de sa vie monotone et d’asservir la jeune femme. Et décide de s’enfuir avec elle. Ce départ nécessite un peu d’organisation. Qu’à cela ne tienne, Benito en profite pour convoquer les personnages qui ne vont plus quitter sa nouvelle route. Tout d’abord son frère, Esteban, homme politique corrompu, mais fidèle à sa famille et à sa religion. Il fournit de faux papiers à Eduarda. Puis il y a Artemio, figure de l’intellectuel loufoque, et sa compagne – mais également cousine – Copelia. L’étrange couple vend sa voiture à Benito, mais décide de s’associer au projet de road trip à travers le Mexique.
Diderot aurait-il bu trop de mezcal ?
Dans ce roman, Guillermo Fadanelli s’interroge sur la place de l’intellectuel dans un pays où l’instruction ne fait pas loi. Il oppose la culture (limite pédante) de Benito et d’Artemio à la corruption d’Esteban et de la police mexicaine. Est également évoqué le rapport entretenu par l’écrivain avec son public. Non sans humour, le narrateur pose à plusieurs reprises la question de l’ennui que son récit doit susciter car « dans le cas peu probable où existerait quelque stoïque disposé à supporter cet ouvrage, ce ne pourrait être que [sa] mère. » Il joue avec son lecteur à la façon d’un Diderot dans Jacques le fataliste. Quant à la relation quasi incestueuse entre le vieux pervers et la jeune ingénue, elle n’est pas sans rappeler Lolita. Mais là encore, l’auteur prend le contre-pied d’une référence évidente et choisit de faire le récit de la passion d’Héloïse et d’Abélard, le vieux philosophe et sa jeune disciple. Et il semblerait que pour éviter de subir le même destin qu’Abélard (la castration), Benito décide de ne pas instruire Eduarda. Car Fadanelli parle du désir qui ne résiste pas au raisonnement ni à l’éducation. L’une des dernières phrases du professeur est précisément « les études ne tuent pas les passions. » Résultat de la passion du vieux et laid Benito pour la jeune femme : la taule pour un meurtre qu’il n’a pas commis.
Cet enfermement permet au narrateur de réinventer son histoire en laissant libre cours à ses fantasmes pervers. La boue, c’est ce qui s’infiltre à travers les rainures des pneus de la voiture, mais c’est aussi ce qui excite Benito. Sa jouissance nécessite de se rouler dans la fange, de s’avilir. À travers son double fictionnel, Fadanelli, avec un réalisme clinique, nous tend un miroir où se reflètent nos plus pitoyables travers.
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