Une île est toujours un mystère entouré d’eau : Bissoondath l’a bien compris, et a peuplé son dernier roman de personnages intrigants… Une œuvre dense et pleine d’images. Parfois, c’est dans les interstices que se trouvent les meilleures idées, et que résident les plus belles évidences. Malgré la densité du propos, derrière les tournures quelque peu désuètes ou alambiquées, et même dans les lourdeurs assumées du style, le talent est omniprésent… On aurait tort d’avoir à redire à ce roman majeur, à cette œuvre d’une acuité inouïe. C’est bien simple, les aspirants écrivains devraient en prendre de la graine… Car dans ce dédale de détails et de descriptions fouillées, dans cette apologie des possibilités littéraires et des images odorantes, le lecteur n’a de cesse de se plonger dans un réalisme sans limites. Dans cette île imaginaire, la culture indienne se ramifie dans les moindres décors : comme si l’Inde et le Sri Lanka, et peut-être d’autres contrées, avec leur sécheresse, leurs couleurs arides et leurs senteurs spécifiques, étaient constamment mises à l’honneur. Lors de la lecture, on a constamment à l’esprit les images rebattues d’enfants sillonnant les rues, ou celles, plus récentes, d’une Inde moderne… Mais on comprend très vite qu’il n’en est rien. L’île de La Clameur des ténèbres est purement fictive, et ne devrait être rattachée à rien sinon aux incohérences de notre époque… Des images et des hommes Dans La Clameur des ténèbres, il est bien question de ça : de tout ce qui fait l’homme, de ses aspirations les plus nobles à ses contradictions les plus déconcertantes. Bissoondath, avec son amour du vrai et du détail, cultive tout au long du roman un mélange de vérité et de mensonge. Et, quelque part dans tout ça, les personnages ont la part belle… Bissoondath l’explique lui-même : ses personnages s’imposent d’eux-mêmes, ils ont "besoin de sortir" à un moment donné. Des personnages qui auraient presque une vie propre, et qui le tanneraient pour s’exprimer… On suit donc Arun, un jeune instituteur de 21 ans et unijambiste, qui décide de se rendre dans cette île fameuse. Mais il n’y trouvera rien de ce qu’il y était venu chercher : rien de moins que les horreurs de la guerre civile, qui sévit dans cet îlot, et une certaine philosophie qui transpire du regard des habitants, parfois désabusés. La communauté dans laquelle il s’immerge va d’ailleurs très vite lui renvoyer un monde d’incompréhension ; et notre jeune prof, qui était venu là pour se prouver des choses et pour montrer que l’instruction peut venir à bout des pires inimitiés, se retrouve seul face à lui-même. Le monde ne s’éduque t-il qu’à travers la connaissance de soi et de l’autre, finalement ? Grâce à ce roman, aussi vaste qu’un territoire insulaire, on comprend surtout que les ténèbres ne sont jamais noires. Elles sont fertiles, pleines d'images, et nourrissent l’imagination…
Julien Canaux
La Clameur des ténèbres Neil Bissoondath Ed. Phébus 359 p / 20 € ISBN: 2752902917
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