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Des mots et des images, part 3
Un printemps en Po�sie
Notre �poque veut que la po�sie soit la proie d'un abandon quasi collectif, alors qu'elle est encore si populaire dans d'autres pays frontaliers o� sa tradition orale n'a pas fl�chi sous les si�cles et sous les sous. Peut-�tre la France est-elle contamin�e par le mal du Temps, alors que d'autres contr�es survivent dans les bienfaits de l'Espace ? Chronologie et g�ographie devraient pourtant s'entendre pour fonder un �quilibre qui n'aurait rien de pr�caire entre nos sens en alerte et leur nourriture spirituelle.
La po�sie est abandonn�e alors qu'elle voudrait s'abandonner en nous, se donner � notre corps non d�fendant et � notre �me loin de la d�fensive. Cette troisi�me ann�e du Printemps des po�tes le prouve, au vu de toutes les manifestations culturelles et artistiques qui ont fleuri �a et l� et fait vibrer le public par mots et par vaux.
Une image cependant reste, marquante : l'intervention des Souffleurs au �Palais des po�tes� qui si�geait � la Conciergerie en cette fin mars. Personnages habill�s de noir, aux gestes amples et alentis, aux pas ralentis et sereins, tels ces �chassiers qui d�gagent la m�me magie depuis leur hauteur au milieu des carnavals, les Souffleurs poss�dent aussi un instrument original, un long tube couleur de nuit au bout duquel vous appliquez votre oreille afin qu'� l'autre bout vous soit souffl�e une prose po�tique d'une dizaine de secondes� mais quelle dizaine ! Extrait de lettres, de po�mes, d'aphorismes� Le temps d'une r�v�lation. Instant sublime, o� la voix du com�dien envahit votre esprit au d�triment du brouhaha ambiant et du cadre de votre vie qui s'�loigne d'elle-m�me pendant ce court laps de temps, laps qui tel un rapt la fait revenir � elle m�tamorphos�e po�tiquement par les images invisibles que nous offre la voix. Soufflant �dans le silence des biblioth�ques, le bruissement des m�diath�ques, le recueillement des librairies, le murmure des fumoirs de th��tre, le bourdonnement des salons du livre, le ronronnement des files d'attente, le bruit des conversations de caf�, le tumulte des halls de gare, le vacarme des embouteillages, le tohu bohu de l'humanit�, le fracas de l'univers�, ces artistes venant d'horizons divers ont �t� regroup�s par Olivier Comte qui, lui aussi, accompagne ses amis Souffleurs sur les lieux o� on voudra bien les accueillir.
Un livre est �galement venu offrir sa chaleur humaine en cette semaine sacr�e : � �a ne va pas ? Manuel de po�sieth�rapie �, par Jean-Joseph Julaud (Le cherche Midi �diteur). Partager le rire et l'�motion, l'humour et la tendresse, voil� l'enjeu (et le jeu) de cet ouvrage hors norme et cocasse : la table des mati�res est si all�chante qu'on aurait presque envie de souffrir de toutes les maladies cit�es afin de mettre en pratique les conseils po�tiques propos�s� entre les piq�res d'insectes et le mal d'amour, en passant par le glaucome aigu, les oculopathies, le ridicule, les illusions et l'ennui (la pire des maladies), on comprend que de maux en mots, le plaisir verbal trouve un emploi ludique et philosophique � travers le prisme fabuleux de la po�sie palpitant en nous puisque la po�sie n'est pas seulement faite de paroles rim�es ou non, mais faite de tout. �Poesis� en grec ancien signifie � fabrication, cr�ation �. Le monde est po�sie car cr�ation. Notre corps est donc aussi une forme de po�sie (Patrice Ch�reau le montre avec une crudit� majestueuse dans Intimit�, o� la cruaut� des sens et du sens � commun � prend une dimension bouleversante). Les lieux et les �poques l'ont fa�onn� et construit, ce corps, en vue de la maturit� de la mort. Ainsi, un bateau est une po�sie, tout comme une maison, un g�teau d'anniversaire, un dessin d'enfant, tout ouvrage de cr�ation est une po�sie, in extenso. Et sachant que nous, braves humains parmi les braves cr�atures terrestres, sommes faits de chair, de sang et de mots, tout est pr�t dans nos arcanes pour fabriquer le rem�de contre les poisons de notre vie. Mais encore faut-il trouver le lieu et la formule� F.Z.
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