Il n'y a pas que les �crivains am�ricains qui subissent les affres de leur position pourtant envi�e "d'auteurs" : des gens qui, aux yeux du monde, comme les acteurs ou les chanteurs, doivent forc�ment avoir une vie formidable. Et oui, nos �crivains nationaux ont aussi donn� en lectures d�sertes, �missions t�l� ou radio rat�es - o� souvent l'animateur �corche votre nom quand il ne vous confond pas avec un autre lettr� : parlez-en � Philippe et Patrick Besson... - signatures solitaires et autres petites humiliations publiques. Dans l'anthologie Hontes parue � l'automne chez Joelle Losfeld, soixante auteurs anglo-saxons se sont ainsi livr�s en toute franchise � des "confessions impudiques" des m�saventures li�es � leur m�tier. Simon Armitage ouvre son texte par une d�claration particuli�rement juste � ce sujet : "La litt�rature offre un nombre infini d'occasions de g�ne et de honte parce qu'elle s'exerce sur cette lisi�re exigu� o� la pens�e intime rencontre sa r�ponse publique". . Certes ils ont souvent honte, mais il faut reconna�tre qu'ils savent le raconter.

Une m�saventure de Jessica Nelson, 26 ans. Son premier roman a paru � la rentr�e litt�raire de septembre 2005, Mesdames, souriez chez Fayard. Prochain livre � para�tre en f�vrier 2008.

" D�cembre 2005. Le temps est au gris et il fait si froid que je n'ai pas le courage de sortir du magasin pour aller fumer la Vogue qui me r�conforterait. Je suis vaguement d'humeur massacrante, mais il est hors de question de le laisser montrer. Apr�s tout, j'ai accept� de venir signer mon fichu bouquin dans ce Cultura d'Avignon ! Cultura est une cha�ne de magasins type Fnac, dont les points de vente se situent en zones industrielles. Les Cultura sont de v�ritables cavernes d'Alibaba et j'aime beaucoup l'esprit de famille qui anime les gens qui y travaillent. Et j'ai de plus eu la chance d'�tre s�lectionn�e par eux comme coup de coeur, avec quatre autres auteurs, de la rentr�e.

Beaucoup de monde, en ce samedi proche des f�tes de fin d'ann�e. Mais les rayons DVD et accessoires attirent davantage, h�las, que la brochette de "coups de coeur" en d�route que nous sommes. M�me apr�s avoir subtilis� les bandes rouges "Prix Goncourt", "Prix F�mina", "Prix M�dicis" (qui m'�choit), "Prix Renaudot" et "Prix Interalli�" pour les mettre sur nos livres, on ne peut pas dire que la petite mamie, le p�re de famille, les enfants ou les amoureux qui se b�cotent, se pr�cipitent sur nous. Ce serait presque le contraire. D�j� qu'un type qui a �crit un livre et qui vient le signer, on le regarde (si on le regarde !) un peu comme une b�te curieuse et effrayante (note pour plus tard : et si c'�tait vrai ?) si en plus il a eu un prix litt�raire, c'est soit : petit un, louche(quel jury son �diteur a-t-il couvert de cadeaux ?) / petit deux, inqui�tant (le livre doit �tre bien s�rieux et poussi�reux) / petit trois, pas trendy (un prix litt�raire comme cadeau de No�l ? Mpff, c'est d'un commun !)

Donc notre strat�gie �choue piteusement, � part de nous avoir fait rigoler de notre propre blague.

Gel�e - les portes automatiques, �a dra�ne du courant d'air -empot�e - un stylo � la main pr�t � l'action depuis deux heures, �a ne contribue pas � vous donner confiance en vous - et fatigu�e, je me l�ve pour faire quelques pas dans les rayons afin de me d�gourdir. Je m'�tais pourtant jur�e de ne pas laisser �clater les vilains sympt�mes des auteurs maniaques, � savoir syst�matiquement v�rifier que son livre et ceux de son �diteur sont bien plac�s. Une cliente perdue m'accoste un peu brutalement, sans doute press�e, et me demande si je peux l'aider � trouver un livre. Je m'amuse int�rieurement d'�tre prise pour une libraire, si cette dame savait ! Si elle savait que si je n'avais pas tant aim� �crire, si je n'avais pas �t� journaliste, conseiller les livres comme le fait un libraire, m'aurait enchant�e. Donc j'essaie de trouver le roman qu'elle d�sire - et de lui refourguer celui d'un de mes petits camarades, sagement assis � quelques m�tres de l�, en lui indiquant que pour le m�me prix, elle aura une d�dicace (�a ne l'int�resse pas).

Et c'est alors que l'adorable Eric Lafraise, qui m'a invit�e, fonce sur nous, plut�t g�n� : "Madame, Jessica n'est pas une libraire, en fait, c'est un des auteurs qui..." La dame ne le laisse pas finir, s'�nerve et me balance : "Ca vous amuse, de prendre les gens pour des cons ? Vous auriez pu me le dire, que vous ne travaillez pas ici ! Pour qui vous vous prenez, � vous foutre de moi comme �a ?" Fulminante, elle s'�loigne � grands pas. Interloqu�e, je me retourne vers Eric qui soupire " Il est bon d'�tre serviable, mais il faut bien montrer que c'est par estime et non par d�bonnairet�." Francis Bacon. Fin."

David Foenkinos. Son dernier roman, En cas de bonheur est paru chez Flammarion en septembre 2005.

"J'ai fait plusieurs fois l'�mission "vol de nuit" mais un de mes passages reste traumatisant. C'�tait pour mon roman En cas de bonheur, un livre sur le couple, et je ne trouvais pas le sujet palpitant. Je voulais bien parler des personnages, mais je ne voulais donner aucune th�orie sur le couple, car ceux qui parlent du couple m'ennuient. Bref, j'�tais dans l'�tat de celui qui ne veut pas dire ce qu'il doit dire. Assez confus donc. Chacun a encha�ne ses propos huil�s sur son livre et quand vint mon tour ce fut le trou noir. Impossible de r�pondre, et je crois que nous sommes restes trente secondes dans le vide. Soit une �ternit� en mati�re t�l�vis�e. J'ai balbutie de nombreuses inepties. Et quand l'�mission s'est termin�e, mon attach�e de presse, d�sesp�r�e, m'a regarde avec mes futurs chiffres de vente dans les yeux. Christine Orban m'a dit : "David, tu sais, il faut mieux pr�parer tes �missions. Tu viens avec ce que tu as a dit, et hop, l'affaire est dans le sac...". Quant a PPDA, il m'a trouve brillant, persuade que j'avais �crit ce num�ro de l'�crivain victime de mondanit� aig�e. Mais non! Je me suis juste senti perdu, et ce n'�tait pas le bon moment. A l'�cole de mon fils aussi, on me regardait bizarrement apr�s cette �mission. Je voulais me cacher, alors je suis parti en Suisse... "

Arno Bertina, auteur de j'ai appris � ne pas rire du d�mon (Ed. Na�ve) et d'Anima motrix (Ed. Verticales). Prochaine oeuvre: un essai politique � six mains avec Fran�ois B�gaudeau et Olivier Roh�.

� Je me rendais dans un complexe culturel pour une signature d�un de mes romans, accompagn� d�un autre auteur. Au moment d�entrer dans la salle, j�entends une voix agressive, impr�catoire, ultra-violente, un peu comme celle d�un procureur dans un tribunal crier dans ce grand espace. Un peu choqu�, je me tourne vers la femme qui m�accompagnait et je lui dis : � il n�est pas question de faire une signature ici, c�est trop bruyant �. La fille me r�pond : � vous ne reconnaissez pas votre texte ? �. En fait il s�agissait d�une lecture d�Apoggio [le deuxi�me roman d�Arno Bertina, Ed. Actes Sud, ndlr] ! J�avais honte de ne pas avoir reconnu mon propre texte, oui, mais aussi honte que son interpr�tation soit aussi violente, pleine de pathos et de col�re. Je pensais au public : mon texte, pr�cis�ment, ne faisait que questionner cette agressivit�, il n�agressait pas. �

Maia gabily, Laurent Simon et Charles Patin o'Coohoon