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Les Majorettes, de Charles Fr�ger
J'ai rendez-vous avec une femme � la galerie L�o Scheer, au 14-16 de la rue de Verneuil, dans le 7�me arrondissement. M�tro Solf�rino. Nous sommes mardi soir. Fatigu�s de notre journ�e, coupe de champagne � la main, nous nous asseyons. Des yeux, tout autour de nous.
On leur donne douze, treize ou quatorze ans. Toutes habitent le Nord-Pas-de-Calais. Cheveux attach�s, tir�s, plaqu�s, elles portent un uniforme confectionn� main. Du sur mesure. On ne les voit pas sourire : trop jeunes, sans doute, pour exprimer sinc�rement leur chaleur ; les majorettes font la moue. Non pas qu'elles soient aust�res, mais les couleurs de leur combinaison suffisent � dire toute leur joie. Les r�p�titions, chaque mercredi, ensemble, entre copines, dans le gymnase municipal qui r�sonne. L'aventure devient collective lorsque l'on entend les crissements sur le plastique de leurs bottes interminables, trop bien lass�es, qui s'entrem�lent, un concert, et la musique de fanfare les pr�venir des pas de chor�graphie � venir. Et un, et deux, et trois, et... lancer de b�ton.
Pourtant, n'attendez ni mouvement ni instantan�it� : les majorettes sont de faces, portrait serr�, � dire "Je suis". Si l'une d'entre elle finalise sa coiffe par une plume rouge, ce n'est pas tant parce qu'elle est majorette, mais plut�t parce qu'elle est avant tout une pr�-adolescente, unique, qui t�tonne dans l'apprentissage de la s�duction. Elle cache, entre autres, quelques secrets doucereux, un grand projet (�tre actrice) qu'elle n'ose pas �voquer (ses parents se moqueraient d'elle), ou le pr�nom du petit copain devant lequel elle rougit. Dans la cour d'�cole, hier, il lui a demand� s'il pouvait lui faire la bise : elle lui a s�rement propos� de venir la voir en spectacle avant de lui dire oui, fais-moi un bisou. Les doutes et les incertitudes surgissent des attitudes droites, rigides, car assur�ment, ces jeunes filles ne peuvent �tre dans leur vie de tous les jours si sereines, si confiantes, aussi certaines qu'elles ne le montrent.
La facture de l'habit ne trompe pas : l'uniforme est fruit d'un long travail. Une entreprise familiale. Les m�res ne sont pas loin. Certaines fillettes, malgr� les r�ticences du p�re, se sont faites percer les oreilles. Pas d'insolence, juste un bout d'ingratitude sur lequel la photo n'appuie pas. L'objectif l'ignore pour n'en retenir que le caract�re in�luctable d'un entre-deux-�ges. Ce qui importe, c'est le d�tail. Les perles, les plis de jupe, l'exag�ration du maquillage piqu� � maman. L'habit ne fait pas le moine : il reste simplement dans l'ombre de ces jeunes filles � la fleur de l'enfance. L'uniforme les soutient dans le dur moment du num�ro de majorette. Quand le trac est terrible, elles restent s�res, au moins, qu'on regardera leur tenue de soir�e. Prises seules ou en groupes, les majorettes ne sont pas rivales, elles forment un tout, pr�t � vous bousculer en minaudant un "Poussez-vous, c'est � mon tour".
Apr�s ses s�ries "Water-polo", "Pattes blanches", "Miss" ou "Camouflage", Charles Fr�ger, 27 ans, rouennais, poursuit son projet d'ampleur sur la photographie de sujets en uniforme. Rejetant le st�r�otype kitschouille folklorique, il s'attarde sur la majorette que personne ne penserait � d�finir et que personne, sans doute, ne d�finirait ainsi : simple, singuli�re, fra�che, peut-�tre inqui�te car trop s�re d'elle.
Mon amie de fin d'apr�s-midi et moi sortons. Je lui propose une cigarette qu'elle refuse. Elle me demande ce que j'en pense. Je reste muet, j'h�site ; je ne comprends pas mon silence. Je reboutonne ma veste. La question qui me tracasse, jusqu'alors impossible � traduire en mots sort de ma bouche :
- Vous �tiez majorette, petite ?
- Non, mais je r�vais d'�tre une danseuse �toile.
MAJORETTES
Portraits photographiques et uniformes
CHARLES FR�GER
Jusqu'au 30 mai 2002
Ariel Kenig
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