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Petites maisons d'�ditions
� Petites maisons d��dition �, dites-vous ? Que l�expression consacr�e mette en sc�ne un tel adjectif ne doit pas amener � basculer dans la d�pr�ciation : la septi�me d�finition du Robert rappelle justement que petit appr�hende aussi ce � dont l�abondance, l�importance, l�intensit� est faible �. Et lorsqu�il s�agit d��diter, �tymologiquement de � mettre au monde �, la raret� t�moigne souvent de la pr�ciosit�, d�une attention port�e m�ticuleusement au nouveau n�, d�un �diteur-accoucheur si proche de son b�b� qu�il m�le souvent sa vie � celle de l�arriv�.
Au moment o� le gigantisme impose ses dimensions � l��dition fran�aise, dans une situation in�dite au monde apr�s le choix des pouvoirs publics quant au rachat de Vivendi Universal Publishing, la � normopathie � (Bruno Wajskop, fondateur des �ditions Que) des lettres modernes devient un syndrome mena�ant et l�id�ologie du profit imm�diat ne rel�ve plus de la litt�rature-fiction. Or, refl�tant la diversit� du monde, la cr�ation fran�aise, demeure plurielle aussi � et surtout � gr�ce aux petites maisons d��dition. Dans un entretien avec Fr�d�ric Vignale (e-terviews.net), Yann Kerninon, dont les premiers Cahiers d�ubiquit� sont publi�s aux �ditions Hermaphrodite, rappelle ainsi la d�finition heideggerienne de la pens�e (� la pens�e n�est jamais autre qu��tonnante �) et sous-entend que le mariage de la libert� laiss�e � l�auteur et de l�attention port�e au texte est c�l�br� d�abord dans les petites cellules. Recherche de champs inexplor�s, renaissance de sensibilit�s historiques, r�flexion sur la chose �crite pr�sident souvent � la fondation de celles-ci.
� chaque livre, un nouveau pari
Fruit d�une rencontre de papier entre Olivier Douzou et Christian Dubuis Santini (leurs noms figuraient sur la m�me ligne des remerciements dans un livre d�analyse s�miotique de Tintin au Tibet), les �ditions de L�Ampoule proposent des livres o� l�image est r�habilit�e comme langage � part enti�re. Christian Dubuis Santini explique vouloir � d�passer le structuralisme en l��prouvant et, dans la ligne de Bataille, mettre le langage des mots et celui des images dans un rapport qui suscite la d�concertation chez le lecteur. Avec l�image, on devient bilingue �. Us�s par trop d�utilisations, les mots souffrent parfois d�un sens �puis� mais retrouvent ici un pouvoir de signification par la mise en sc�ne d��l�ments visuels forts, intacts, ou par un travail sur la typographie. Un texte obscurci par le temps comme Construire un feu de Jack London offre � nouveau toute son intention narrative si le lecteur accepte de se laisser bousculer par les dessins de Michel Galvin et par la mise en page immacul�e de l�objet � livre �.
Si elle fonda sa sp�cificit� sur l�alliance de textes d�analyses et de compositions humoristiques, la revue Hermaphrodite, n�e � Nancy � l�automne 1998, se veut impitoyable dans son analyse du monde moderne et pr�ne une r�volte dada�ste renouvel�e, o� le bourgeois est � combattre en chacun de nous, selon les termes de Kerninon. Enfant de la revue, la maison d��dition propose donc aussi bien les Cahiers d�ubiquit� pr�-cit�s, qui appr�hendent la chose humaine � sur un mode po�tique et libertaire �, et un Viva la merda ! plus r�tif � l�interpr�tation mais plus sensible � la scatologie.
� L��criture commence o� finit la psychanalyse � : �rig�es sur ce socle de la postface du FLAC �crit par le psychanalyste Serge Andr�, les �ditions Que se focalisent sur la litt�rature et la psychologie avant d�ouvrir son catalogue � l��rotisme, la politique et aux arts. Apr�s avoir convaincu Serge Andr� de publier son roman � autobiographique � 1000% � (c�est-�-dire � 100% plus 900% produits par l�imagination), vendu � 20 exemplaires par mois pendant un an et demi, Bruno Wajskop, psychanalyste et �crivain (tout est dans le � et �), souhaite �diter des textes justes, comme le r�cit du m�me auteur aujourd�hui d�c�d�, sur l�exp�rience de son corps � 85 ans.
Alors que les romans des grandes maisons d��ditions semblent renouer avec la forme balzacienne et que leurs auteurs d�noncent ce qui fut selon eux l�interdit du Nouveau Roman quant � l�exhibition d�une intrigue, les �uvres d�accoucheurs plus confidentiels ressuscitent l�usage langagier de l��criture et ne figent pas leurs textes dans la grammaire acad�mique. L�Ampoule travaille sur les rythmes consonantiques de ses textes ou renouvelle, avec C�est pour offrir ?, la disparition du E de Perec, proposant un produit agrandi par un mot � mot sans accroc au canon (� pardon, avez-vous remarqu� la disparition dans ce dernier mouvement de phrase ?). Les auteurs Hermaphrodite(s ?) malm�nent tous la syntaxe, notamment dans leurs appels � la r�volte. Jusqu�� Bruno Wajskop chez Que, (auteur d' Anarchie (copyright), d�abord refus� par une grande maison d��dition car jug� pas assez transgressif), qui motive ses infractions syntaxiques et Serge Andr� (FLAC) dont l��criture foisonnante s�est inspir�e d�une �coute constante de Beethoven. L�usage de l�image, si elle constitue la recherche des �ditions de Christian Dubuis Santini, constitue aussi un trait de libert� ressenti par toutes ces �ditions : les couvertures de Que, photographies de Fabien de Cugnac, ou le mixage quasi-futuriste de texte, collage et dessin chez Hermaphrodite en t�moignent.
Objectif lectorat
Comme le pr�cise cependant Bruno Wajskop, � la r�ussite d�un �crivain est importante �. Et la reconnaissance de l�estime publique, comme le prix Gironde du meilleur deuxi�me roman d�cern� � V�ronique Ovald� pour Toutes choses scintillant (L�Ampoule), permet d�accro�tre l�audience des �uvres de telles maisons d��dition qui rencontrent souvent plus de succ�s d�estime que de best-sellers. Janus du monde litt�raire, l��diteur vit sous un double visage : grand, il multiplie parfois les ouvrages standardis�s jusqu�� ne plus g�rer que les stocks et ne voir dans le livre qu�un produit �conomique ; petit, il cherche souvent � traduire dans l��crit une r�flexion in�dite, un message port� par un bel objet, dans une attitude qui am�ne L�Ampoule, par exemple, � bannir toute id�e de collection : si une histoire n�cessite tel format ou tel caract�re, les consid�rations artistiques primeront sur l�approche financi�re. Dans leur lutte, les distributeurs s�investissent : parce que les livres de textimage de L�Ampoule se pr�tent difficilement aux cat�gories habituellement utilis�es pour r�f�rencer, l��diteur travaille avec les libraires (comme la FNAC) sur l�id�e de rayon de litt�rature-image.
Mais tous voient dans l��dition une passion pratiqu�e en professionnel, men�e de front avec une autre activit� : Christian Dubuis Santini dirige � Paris une soci�t� de cr�ation visuelle et de conseil en communication et participe � la revue Prospero ; Bruno Wajskop exerce comme psychanalyste notamment � Bruxelles. Humble, celui-ci souhaite atteindre la rentabilit� pour Que dans les quatre ou cinq prochaines ann�es, apr�s s��tre investi totalement sur le plan financier dans la cr�ation de sa maison, et fonde son d�veloppement sur une diversification du catalogue.
Tous, cependant, cherchent � se faire conna�tre du grand public par des sites Internet esth�tiquement travaill� et qui marient l��crit � l��cran. Il vous faut ainsi cliquer sur un interrupteur pour p�n�trer sur le site de L�Ampoule qui d�cline ses dossiers, dans les couleurs chaudes de la f�e-�lectricit�, gr�ce au champ lexical du courant, quand les �v�nements deviennent �tincelles, les livres lumi�re, etc. Collages, dessins humoristiques, photos montages o� l��quipe de la revue s��changent t�te et corps d�nud�s, m�lange de pages consacr�es � des galeries de photos et d�entretiens� en somme, le site des �ditions Hermaphrodite. Si les �ditions Que proposent un site au graphisme �clair� pr�sentant ses publications, des liens avec les critiques et avec d�autres sites partenaires (comme celui du photographe des couvertures, Fabien de Cugnac), son fondateur souhaite collaborer avec les galeries et pr�pare une revue au petit tirage, entre 300 et 400 exemplaires, auto-critique et carte de visite de sa maison, titr�e solidairement� Pour que.
Petite maison deviendra grande ( ?)
Depuis deux d�cennies, l��dition fran�aise mue dans un paysage o� les multinationales c�toient les structures quasi-artisanales soumises pourtant aux al�as financiers : les financements ne sont en effet plus � l�abri des d�r�gulations, dans un contexte o� l��dition s�affiche d�sormais comme un secteur de l��conomie comme les autres. Face � cet enjeu, ce sont les �diteurs qui doivent permettre � la cr�ation de ne pas s�assujettir � l�argent et les structures capables de s�adapter aux march�s � taille humaine, mais constitu�s de lecteurs fid�les, sont parfois pr�sent�es comme celles de l�avenir.
Mais fi de l�intendance, seule la cr�ation prime. Des partenariats se nouent entre petites et plus grosses maisons comme celui de L�o Scheer et Flammarion pour la publication des Premiers mots de Bernard No�l. Et, surtout, que des accoucheurs donnent naissance � des enfants cr�atifs face aux b�b�s clon�s des grosses maisons de formatage rassurent sur l�avenir. Que d�ampoules hermaphrodites !
Olivier Stroh
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