Quand un premier roman détruit avec jubilation l’honorabilité supposée des musées, on craint que le Patrimoine de l’humanité ne soit finalement pas dans de si bonnes mains. Qui n’a pas déjà déambulé dans les galeries d’un musée en se disant que les gardiens devaient s’y ennuyer à mourir ? Nicolas Beaujon, 42 ans, dresse un portrait peu amène de ces fonctionnaires, pour la plupart aussi creux, spirituellement parlant, qu’on se l’imagine, mais qui prennent leur métier très au sérieux. Gardien, un métier méconnu Apprenez d’abord qu’on ne dit pas « gardien de musée » mais « agent de contact ». Apprenez aussi que beaucoup d’entre eux sont des agents « infiltrés », là par hasard, en attendant mieux, comme notre narrateur qui se targue d’être un « guitar hero », soit une future star du rock pour l’instant méconnue. La carrière de notre hero dans l’administration commence de fait assez mal puisqu’il se fait d’emblée convoquer par la splendide chef du personnel : il a menti lors du concours sur l’immaculé de son casier judiciaire, en réalité noirci par des vols d’objet d’art. Mais c’est du passé ma bonne dame, j’ai aujourd’hui le plus grand respect pour le patrimoine de l’humanité, je vous jure. « Emma Peel » passe gentiment l’éponge, tandis que le gardien en herbe rêve de devenir son John Steed. En attendant de combler l’hystérie de ses fans en délire, le narrateur découvre donc l’univers hautement corrosif de son nouveau travail : grèves en pagailles (ça, on s’en doutait !), collègues hauts en couleur – Boin, le Limougeaud nostalgique de sa province, Dupont, « le punk reconvertit fonctionnaire » , Slimane, l’incessant bavard, etc. – , touristes potentiellement dangereux, mais surtout sex & drug. Et oui. Pascale Faubert, vacataire pistonnée, est l’incarnation de cette décadence du musée, très avenante envers ses collègues, aidée par Trévise, un fou déclaré inapte à travailler en collectivité, qui, depuis la réserve des œuvres d’art, approvisionne toute la joyeuse confrérie en drogues de toutes sortes. Forcément ça va dégénérer ; forcément, on va s’amuser. Dépoussiérage Contrairment à ce qu’on croit, y a de la vie dans les musées, mais pas forcément celle qu’on imagine. Entre l’alerte à la bombe dans une poussette – ah ! bienheureuse bêtise du fonctionnaire de base parlant anglais comme une vache espagnole – les collègues commentant à leur façon les fluctuations d’un marché financier qui leur échappe totalement – mais faut se tenir au courant – , les « certificats d’anomalie » dont les propos donnent tout son sens au mot « ineptie » et les notes du délégué syndical à l’orthographe et au style très approximatifs, on avoue que l’ironie déployée dans son roman par Nicolas Beaujon est des plus réjouissantes. Donnant une image assurément bien plus trash que celle qu’on colle d’habitude aux gardiens de ce que le monde a de plus précieux, il n’hésite pas à grossir le trait jusqu’au délire outrancier, sans perdre cependant sa crédibilité. Sans révolutionner l’art de l’écriture, Le Patrimoine de l’humanité n’en reste pas moins un appréciable premier roman, désopilant et exacerbé. N’hésitez pas à l’emporter avec vous lors de vos prochaines visites, il vous distraira beaucoup dans la file des trois heures de queue pour accéder à la dernière exposition du Grand Palais !
Maïa Gabily
Le Patrimoine de l’humanité Nicolas Beaujon Ed. Le Dilettante 221 p / 16 € ISBN: 2842631269
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