Allez, un brin d’humour : on le remercie de s’être déplacé pour nous, car il y a quelques temps, Christophe avait posé un lapin à Nicolas Rey sur Radio Nova ! Notre auteur se souvient : « C’était pour une première émission de radio… Le fait est que je ne me suis jamais senti auteur ou écrivain : aujourd’hui encore, j’ai vraiment du mal, je trouve ça disproportionné ! Je trouvais ça énorme de venir parler, moi, à la radio. Je n’ai même pas le bac, je ne suis diplômé de rien, sauf du permis de conduire. D’ailleurs, je ne dis jamais « livre », je dis « bouquin »… Tant pis si ça heurte certaines personnes. » Complexé, Christophe Paviot ? Que nenni ! Notre auteur est animé, volubile, d’une jeunesse épatante. On serait presque déconcerté devant autant de décontraction ! Dans son dernier « bouquin », Cassé, Kurt Cobain est au centre de tout. Mais Christophe a beau être fan de Nirvana, on est loin de l’hagiographie : le roman est respectueux, original, tout en étant fidèle à l’univers presque intouchable de la rock star… Punk is not dead Une question peut alors se poser : pourquoi un roman sur Kurt Cobain, la superstar adulée et mille fois racontée ? Pourquoi un livre sur une vie et une mort annoncées, et sur un succès aussi connu du grand public ? « C’était une commande de Naïve, et je cherchais l’idée… Il fallait trouver une idée : ce qui est un peu mon métier, puisque je fais de la pub. Et puis je suis parti du principe que le succès, ça tient à quasiment rien : voire à rien du tout. Il est très facile de passer à côté d’un succès mondial… Alors j’ai essayé de rester fidèle à l’image de Cobain, du moins à celle qui réside dans l’inconscient collectif. Peut-être que tout est faux, d’ailleurs, dans la réalité, et que mon raisonnement sur lui est erroné : peut-être avait-il plus d’humour, par exemple… Moi, je me suis attaché à l’imagerie générale qu’on peut avoir de lui. » Cassé… Ne vous méprenez pas, on est loin des hurlements de Nolwenn Leroy. A dire vrai, on est en plein dans la voix éraillée de Cobain, le chanteur aux pulls miteux qui s’affichait sur scène défoncé, haineux, timide ou travesti… Pour Christophe, le titre était avant tout un rappel des initiales de la star déchue : K. C. Et, à dire vrai, on n’y avait même pas pensé ! « Je trouvais que le titre correspondait à son état… Même dans son succès, il était cassé. Moi, je suis un vrai vieux fan : j’ai vu Nirvana aux Transmusicales de Rennes, le 7 décembre 91, et la date est gravée. Quand le groupe est entré dans la salle, tout le monde s’est prit comme une déflagration dans la gueule : et j’ai jamais vu une salle qui sautait aussi haut ! Les gars s’envolaient littéralement, dans tous les sens… » C’est un fait, Christophe en connaît un rayon : à 40 ans, il en paraît 20 mais sait tout du punk, de cette « invention » un peu incertaine qu’est le grunge, et des années 90… Mais surtout, il en connaît un rayon sur Kurt. Kurt l’hypersensible, Kurt l’icône triste d’une génération cheveux longs… In utero Dans Cassé, Kurt nous est aussi étranger qu’il nous semble familier. Un contraste que Christophe Paviot a savamment travaillé, comme s’il cherchait à réunir les contraires : le beau et le laid, le célèbre et l'intime, l’intérieur et l’extérieur... «Quand je me mets à travailler sur un texte, j’essaie toujours de vivre une autre vie que la mienne, qui est un peu banale. Je cherche à rêver ! A m’expulser de mon corps, de ma tête… Est-ce que j’ai des points communs avec Cobain ? Je ne pense pas… J’adore sa musique. Comme lui, je suis très attaché au corps, aux corps glaireux, à la liqueur du corps, aux « humeurs » comme on dit. C’est tout ça qui m’intéresse. Je suis un mec violent : mais plus par les mots… Ce sont mes textes qui sont violents. » Une violence omniprésente dans le roman, certes, mais une violence contenue, aussi : laquelle est atténuée par un humour et une spiritualité de tous les instants.
Kurt in utero, Kurt in corpore : c’est Kurt vu de l’intérieur… A la lecture de ce nouveau roman de Christophe Paviot, on est sans cesse confronté à la saleté, à l’imagerie grunge, et en même temps, à une poésie débordante. Le roman étant écrit sur le mode du « je », celui de Kurt lui-même, on se sent spectateur d’une vie défaite, barbouillée : le défi était-il, justement, de mêler la poésie et le trash ? « J’ai une écriture hyperclassique : chez moi, il y a des rimes internes… Y a aussi des collages : un truc crade avant, un truc très léger après. Quand j’écris, je cherche la liberté, et j’explore un rôle : je fais monter l’envie, la rage, et j’ouvre les vannes… » On l’aura compris : pour Christophe Paviot, il est avant tout question de sortir de soi. « Ce que j’aime, c’est créer des petites idées philosophiques. Des petites incongruités. Comme dans mon roman Blonde abrasive, où le narrateur dit : « Ce matin, j’ai scié une mouette »… Ce sont des petites images décalées que je recherche, des petits trucs frais. Des situations rigolotes, étranges ou tristes. Oui, c’est de la poésie... » Une poésie qui éclabousse le sordide, finalement – et inversement. Comme Kurt, en tous cas, Christophe Paviot a un vrai regard – ce regard un peu perçant dont on a souvent parlé, chez le chanteur de Nirvana… Un regard qui vient de loin, qui exprime des choses. Quelque chose comme une liberté définitive ? « Aujourd’hui, le plus important, pour moi, c’est bien ma liberté… J’ai le sentiment d’avoir trouvé une forme d’expression, et j’en suis heureux. Je pense que j’aurais du mal à survivre si je ne l’avais pas trouvé. Je l’ai longtemps cherché, cette forme d’expression… Kurt Cobain, lui, n’a pas supporté son succès. Il accélérait à mort, puis freinait à mort. Il n’était pas clair… Je pense être plus clair que lui. Moi, mon truc est arrivé : c’est un truc que je ne souhaitais pas, qui m’est tombé un peu par hasard. Maintenant, ma seule ambition, c’est de ne rien arrêter. Et je ne souhaite pas me répéter : parce que chaque histoire est différente... » Cassé (Kurt Cobain) de Christophe Paviot, aux éditions Naïve.
Julien Canaux
Christophe Paviot Ed. 0 p / 0 € ISBN:
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