Et maintenant dansez : si vous ne deviez accepter qu’une danse, que ce soit celle-là. Le plus beau roman de la rentrée nous vient d’Espagne, et c’est une vraie claque. Troisième roman d’un jeune auteur espagnol, Andrés Barba, ce livre confirme son immense talent, déjà remarqué en 2006 lors de la sortie de deux de ses ouvrages, La sœur de Katia (sur une adolescente à la dérive) et La ferme intention, un recueil de nouvelles mettant à l’épreuve la solitude. A peine âgé de 32 ans, Barba impressionne par la maturité de son univers, la justesse de son regard, l’efficacité d’un style aussi dense qu’incisif. Mais venons en au fait : on diagnostique à Inès, la petite soixantaine, la maladie d’Alzheimer. Au fur et à mesure de sa perte au monde, l’existence de sa famille, son mari, ses enfants, se délite par petits bouts, comme si Inès était le miroir qui les reflétaient tous. Cette femme était pourtant loin d’être quelqu’un d’attachant : dure, aigrie, elle méprisait son mari, simple employé de la RENFE (NB : la SNCF espagnole), et n’a jamais vraiment aimé sa fille aîné, Barbara, lui préférant de loin son fils, Santiago. Le récit, kaléidoscopique, se promène dans la vie de chacun, glissant sans prévenir d’une existence à l’autre et mettant à nue toutes les failles qu’elles abritent. Festen Le passé de cette famille de classe moyenne remonte par bribes, hanté par la mort de la petite sœur, alors nourrisson. Par bribes aussi nous est raconté le présent, en quatre moments cruciaux, de 1999 – date des premiers symptômes – à juillet 2003, été révélant un dénouement terriblement surprenant. Entre les deux, les gens : Barbara, apparemment mère et femme comblée, en réalité à la dérive, qui trouve refuge auprès de la fille au pair ; Santiago, être assez antipathique qui a réussi professionnellement mais semble souffrir d’un oedipe profond, incapable d’aimer. Pablo enfin, mari dévoué à sa façon, obsédé par l’argent, préférant presque le petit animal distrait et sans défense que sa femme devient que l’être cruel qu’Inès était auparavant. Ici tous les mots font mouche, qu’ils soient précipités dans un long monologue ou au contraire assénés en de courtes phrases, révélant sans empathie les soubresauts intimes des personnages dont ils épousent les pensées. L’espèce humaine La dissection implacable de cette famille banale se dévore en quelques heures, empruntant l'air de rien le visage d'une tragédie grecque modernisée : ce ne sont sont plus les dieux qui s'amusent des hommes mais les hommes qui détiennt leurs propres gouffres. Il faudra bien se relever pourtant, essayer de redresser la barre existentielle avant de se prendre le mur, nos personnages apprendront. Ou pas. Inès a bien tout oublié, alors… Dans ce roman âpre, pas une page à jeter, pas une réflexion de trop, pas un caractère raté mais la littérature dans ce qu’elle sait encore faire le mieux, un chef d’œuvre. Acide, réaliste, sombre, il questionne tout à la fois la fragilité du lien familial, les multiples formes de l'amour, la solitude, sans négliger l'évocation de la maladie, toujours avec pudeur. En définitive, ce qu’il y a de bien dans Et maintenant dansez, c’est que c’est un livre parfait. Ce qu’il y a de dommage, c’est qu’il risque d’être noyé dans les 700 romans de la rentrée : alors faites-vous une fleur, lisez-le.
Maïa Gabily
Et maintenant dansez Andrés Barba Ed. Christian Bourgois 259 p / 25 € ISBN: 9782267019
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