Entre Roméo et Julietteet Ronde, Alizée Meurisse nous offre un premier roman à la fois viscéral et poétique, dans lequel il est autant question d’amour que de vie et de mort et des moyens de les affronter dans une société parfois hostile. L’amour, la vie, la mort, les hommes. Après tout, pourquoi vouloir se passer de ces thèmes certes rebattus mais universels quand la plume suit ? De temps à autre en effet – et heureusement – surgissent sur la scène littéraire de nouvelles têtes qui revisitent avec joie ce qui ne pourrait être que des poncifs, leur infligeant un traitement à la fois pictural et verbal qui les affuble d’une nouvelle jeunesse. L’univers d’Alizé Meurisse se résume difficilement. Il s’expérimente plutôt. Tout en sensations et visions. Propulsé quasiment sans transition d’une pensée à une autre, de la tête d’un personnage à celle d’un autre, le lecteur est vite grisé par ce rythme.. Le monde d’Alizé Meurisse n’est pas très rose. Les personnages sont plutôt pauvres, souvent seuls, affrontent la précarité à leur manière. Pas de fleur bleue donc, mais quelques princes rêvant d’être charmants et des jeunes filles rêveuses. Quant à l’auto-appitoiement, il est aussitôt congédié dès que l’idée ose effleurer l’esprit de l’un des protagonistes. Il y a donc les petits boulots et diverses combines plus ou moins honnêtes pour tâcher de vivre décemment; pas mal de solitudes. Mais aussi des amours vrais (Johnny et Manon ne seraient-ils pas des Roméo et Juliette de notre époque ?), de la fraternité, de l’amitié et surtout une grande attention aux menus détails du jour le jour et de l’environnement proche. Car la noblesse du sang (bleu) n’est pas forcément issue de la génétique. Elle tient bien plutôt à cette aptitude qu’ont certains à dénicher des trouvailles au cœur du quotidien le plus noir afin de traverser la vie un peu plus poétiquement. Palsambleu ! Si les temps sont durs et que le romantisme n’est plus de mise, différentes facettes de l’amour sont néanmoins déclinées. Avec un petit faible pour l’amour passion, pas toujours donné à tout le monde, il faut bien l’admettre, ni le plus raisonnable ou vivable. Ces solitudes des grandes villes, Alizé Meurisse les agrège. Comme autant de petites touches d’un tableau impressionniste, elle compose et dévoile peu à peu ses personnages successifs, certains restant quelque peu dans l’ombre tandis que d’autres profitent plus de la lumière. C’est ainsi que se lisent les courts chapitres de Pâle sang bleu (entre deux et trois pages), compositions, natures mortes (« le parc », « la bague », « draperies ») en réalité profondément humaines (« Jalousie », « Vanité »). Malgré les événements qui défilent, on a ainsi souvent le sentiment d’être dans un présent permanent. Pourtant, le passé n’est jamais très loin. Quant au futur ?... Notamment lorsque le corps se rappelle à nous. Il en résulte un tout à la fois chaotique et fluide, unifié par le fil des pensées en perpétuel mouvement. Il est même étonnant de constater la quasi-absence de dialogues tellement les idées et les images fusent, instaurant des correspondances et des fulgurances qui se répondent les unes aux autres. Peut-être une manière de souligner l’incommunicabilité de certains sentiments. Ou bien une invite à adopter une nouvelle attitude au monde que l’un de ces personnages vient à souhaiter : « Il faudrait arrêter de se parler et commencer à ressentir ». C’est alors aussi que les mots de l’écrit peuvent prendre le relais des mots de l’oral. Du pâle sang bleu qui court dans les veines de l’un de ses personnages, Alizé Meurisse fait une matière à part entière. Dans une texte riche et dense, elle sait aussi prendre le temps, accorder leur place aux mots et aux images. La narration est ainsi ponctuée de moments poétiques, à l’image de ce grand-père qui, pour ne pas sacrifier son plaisir de la lecture aux coupures d’électricité, coloriait ses dents (tant qu’il en avait) au Stabylo jaune et lisait à lueur de son sourire fluorescent… Un premier roman dur et noir à bien des égards et pourtant terriblement vivant.
Laurence Bourgeon
Pâle sang bleu Alizé Meurisse Ed. Allia 142 p / 9 € ISBN: 9782844852
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