Après le succès des Corrections, l’Américain Jonathan Franzen choisit de se pencher pour la première fois sur un sujet qu’il semble maîtriser à la perfection : sa propre personne. Comme chacun sait, il n’est pas indispensable d’avoir connu une enfance hors du commun, de s’être heurté à de nombreux écueils et d’avoir eu du mal à se relever des coups de la vie pour devenir un écrivain d’envergure. Dans la pile des romans à paraître à la rentrée littéraire figure, au-dessus d’un bon nombre de textes sur la mélancolie, le livre de Jonathan Franzen qui n’a vraisemblablement pas besoin de revêtir un manteau de spleen pour évoquer des sujets aussi douloureux que la mort de sa mère ou l’échec de son mariage. Dans La Zone d’inconfort, l’auteur flirte avec le genre autobiographique et se met en scène dans six chapitres, à lire comme des petites nouvelles. Peu de temps après la disparition de sa mère, Franzen, chargé de la répartition des meubles familiaux, retourne dans la maison de Webster Groves où il a grandi entouré de ses parents et de ses deux frères. La redécouverte de cet espace abandonné par l’adulte qu’il est devenu marque le point de départ d’une rêverie qui le projette directement vers son passé. Pénétrer à ses côtés en ces lieux permet au lecteur de se laisser guider à travers l’Amérique évanouie des années 1970, à l’époque où l’écrivain n’était encore qu’un jeune homme dont le seul dieu avait les traits d’un petit garçon nommé Charlie Brown. Charlie Brown vs George W. Bush Aux souvenirs des heures passées à dévorer Peanuts où se dessinaient les aventures de Brown et de son acolyte Snoopy, s’ajoutent les réminiscences des palpitants week-ends qu’organisait « La Camaraderie », un mouvement chrétien, proche du scoutisme, auquel Franzen consacrait tout son temps libre. Quand les conciliabules d’enfants laissent place aux premiers émois adolescents, La Zone d’inconfort fourmille d’anecdotes drolatiques qui agissent comme un élixir de jeunesse sur le lecteur. Lorsque Franzen retranscrit ce qu’il écrivait dans son journal de Terminale à propos d’une jeune fille prénommée Siebert, il offre dans le même temps à nos agendas de collégiens un bain de jouvence : « “Ne la CANONISE pas” et : “Ne sois pas amoureux, ne sois pas bêtement destructeur” et “La jalousie est le propre d’une relation possessive” et “Nous ne sommes pas sacrés.” Quand je me surprenais à écrire son nom en lettres capitales, je me ravisais et notais : “Pourquoi la majusculiser ?” » Sans jamais perdre l’équilibre entre la nostalgie et la gaieté, l’écrivain ouvre un écrin dans lequel s’entassent photos, coupures de journaux, bibelots et autres souvenirs. Pour autant, dans La Zone d’inconfort, les vies antérieures n’ont d’attrait que si elles se mélangent au présent : ainsi Franzen évoque-t-il aussi bien Cat Stevens et ses cours de littérature sur Kafka que ses préoccupations actuelles – notamment sa passion des oiseaux à laquelle il convertirait les plus irréductibles citadins. Il développe également quelques-unes des idées de Pourquoi s’en faire ?, un recueil de neuf essais où, sans jamais tomber dans la leçon de morale convenue, il pointait déjà du doigt les contradictions de l’Amérique et du gouvernement Bush. Loin des formules percutantes et des phrases à tiroir, en jouant sur la typographie et en agrémentant son texte de croquis, il adopte ici une écriture protéiforme qui n’est pas sans rappeler la patte de Jonathan Safran Foer. Sans vains artifices, Franzen ose passer la frontière d’une zone dont il redoute les dangers : l’intime.
Ellen Salvi
La Zone d'inconfort Jonathan Franzen Ed. Éditions de l'Olivier 253 p / 21 € ISBN: 2879295599
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|