Dès ce premier opus, elle pose les jalons de son univers littéraire. Elle s’inspire en partie de sa propre vie, un peu débridée pour l’époque victorienne. Abandonnée très tôt par son père, Mary Elisabeth Braddon débute une carrière au théâtre pour subvenir aux besoins de sa mère. Elle rencontre l’éditeur John Maxwell avec lequel elle vit une longue relation illégitime. Fascinée par la carrière de son frère parti faire fortune aux Indes, elle s’en inspire pour créer le personnage de Montague Harding, dont le meurtre va devenir le point de départ du roman. Pour « entrer en littérature » Mary Elisabeth Braddon revendique la filiation avec Thomas Moore, lui empruntant le titre de son roman et le plaçant en exergue : « Pauvre race humaine ! dit l’Esprit apitoyé/ Tu paies cher le prix de la Chute/ Tu as certes hérité de quelques fleurettes du Paradis/ Mais la trace du serpent les souille toutes. » Novembre à Slopperton, petite ville sinistre sur les bords du canal de la Sloshy. Repêché nourrisson dans la rivière, Jabez North doit tout à cette ville qui l’a nourri et vêtu et il en devient naturellement le répétiteur de collège. Le personnage semble alors tout droit sorti de l’univers de Dickens. Mais il n’en est rien. Dès les premières pages, il tue froidement l’un de ses élèves. Cet acte initiatique va engendrer toute une série de crimes. Avec le diabolique Jabez North, on est plutôt dans les 120 journées de Sodome que dans Oliver Twist. "Trois demi-pence" Pendant ce temps-là à Slopperton, Richard Marwood – l’incontournable double angélique, sorte d’anti Julien Sorel - réapparaît miraculeusement après sept années auréolées de mystère. Il est arrêté le lendemain de son retour pour le meurtre de son oncle, Montague Harding. Par l’intermédiaire d’un adjoint de police muet, Joe Peters, on comprend évidemment l’innocence du personnage. Quelques huit ans et deux cent pages plus tard, c’est à Paris, dans une société délicieusement aristocratique encore sous le joug de la Régence, que l’on retrouve l’ophidien Jabez North, travesti en sorte de vicomte de Valmont. Les débauches et les intrigues de ce nouveau petit monde théâtral (un chanteur d’Opéra, un chimiste inquiétant, un marquis français cynique, une héroïne espagnole) plongent alors un lecteur happé par le suspense dans une ambiance de roman noir. Jeu de masques et de travestissements, l’auteur se régale en semant les indices qui permettent de deviner les nouvelles identités des personnages. Après maints rebondissements invraisemblables (vraiment invraisemblables), le désormais expérimenté détective Joe Peters va lever le voile sur l’imposture de Jabez North. Il rétablit ainsi l’innocence de Richard Marwood. Mary Elisabeth Braddon nous enchante par la finesse de ses descriptions et une théâtralisation rocambolesque. Le rythme trépidant du roman fait mentir la narratrice qui définit avec beaucoup de dérision sa propre littérature comme un « roman à trois demi-pence ». Camille Paulian
Sur les traces du serpent Mary Elisabeth Braddon Braddon Ed. Joelle losfeld 440 p / 23 € ISBN:
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