Responsable d'un choc littéraire avec Tout est illuminé, Jonathan Safran Foer persiste, signe et dessine. Avec Extrêmement fort et incroyablement près, il confirme tout le bien qu'on pensait de lui. Roman objet ou roman concept ou simple roman, on aura tout vu, entendu et lu autour d'Extrêmement fort et incroyablement près. Le roman-objet est-il pertinent par ce qu'il est conceptuel ou est-ce une escroquerie littéraire ? Souvent la question s'est posée devant l'opacité de certaines œuvres. Et pourtant le roman de Safran Foer n'est pas un concept. C'est un produit fini et même bien fini. Considérons donc un livre. A l'intérieur 425 pages, de textes et d'autres. Des pages blanches, des photographies ou des dessins…Toutes ont une autre légitimité que la simple fierté d'avancer plus rapidement dans la lecture, elles nourrissent le roman, étapes du voyage au bout de l'identité du narrateur, qui est… Mon nom est tout le monde Oskar Schell distribue ses cartes de visite comme on distribue les images. Dessus: OSKAR SHELL inventeur, entomologiste amateur, épistolier, francophile, pacifiste, consultant en informatique, végétalien, origamiste, percussionniste, astronome amateur, collectionneur de pierres semi-précieuses, de papillons morts de mort naturelle, de cactées miniatures et de souvenirs des Beatles. Sinon Oskar boit du café. Il a neuf ans. Ca fait retarder la croissance, donc ça retarde la mort. La mort, son père, plus intelligent que le New-York Time dixit Oskar, la trouve le 11 septembre dans les Tours. A-t-il sauté, est-il mort asphyxié, carbonisé, explosé, suicidé… Pas de réponses sinon un message sur le répondeur du téléphone. Enterrer un cercueil vide est douloureux pour le petit Oskar. Que s'est-il passé? Pas de réponse sinon une clef découverte un an après. Avec cette clef, Oskar se met en tête de retrouver la serrure qui lui correspond. Une clé qui devrait lui ouvrir les portes de son identité, de sa mémoire. De mémoire il en était question dans Tout est illuminé ou l'atrocité de l'holocauste se mêlait à l'extravagante quête du jeune héros. Des thèmes chers à JSF qui, comme dans son premier roman, multiplie les narrateurs. Ici l'atrocité du terrorisme se mêle à l'extravagante quête du "encore plus jeune" héros. Crime scene do not cross Le cinéma a tout juste commencé à s'emparer du 11 septembre. De manière très convaincante pour Vol 93, un peu moins pour Oliver Stone et son World Trade Center. La littérature, dont la capacité de réaction est plus rapide, a enfin levé le bandeau jaune qui entoure ce triste jour, le "Crime scene do not cross" est tombé grâce notamment à McInerney, Beigbeder, Lang et certainement quelques autres. Mais où se trouve Safran Foer dans tout ça ? Dans la première version du roman, le père du petit Oskar mourrait d'une crise cardiaque. Le 11 septembre n'était donc pas un choix de départ. Ce qui explique peut-être, la délicate manière dont ce jour est traité. Donc Extrêmement fort et incroyablement près n'est pas un roman sur l'effondrement des Twins. Mais plutôt post-9/11. Car le 11 septembre n'est que l'accoucheur de l'identité d'Oskar. Bourré d'idées ingénieuses et délicieuses - il parle à sa grand-mère à coup de Talkie Walkie, il tisse un collier en morse (c'est possible) avec pour signification le dernier message de son père - Oskar a tous les attributs d'un personnage fictif, (à côté, Mozart et Einstein furent juste des gamins un peu doués). Sa narration est finalement celle d'un enfant "juste" intelligent. Des adverbes d'émerveillements, il les utilise, comme tous les enfants, à toutes les sauces, à toutes les pages. Génialement, démentiellement, extrêmement, incroyablement... jamais l'adverbe, pourtant si lourd, n'a été aussi juste, léger et jubilatoire dans un roman.
Charles Patin O'Coohoon
Extrêmement fort et incroyablement près Jonathan Safran Foer Ed. L'Olivier 425 p / 22 € ISBN: 2879294819
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