A l’image de certains romans à l’ancienne, le petit dernier de Thierry du Sorbier fait la part belle à l’humour stylistique, et dresse une véritable galerie de personnages, tous plus pittoresques les uns que les autres… Une œuvre ovni. Ils sont rares, les romans qui cherchent à fouiller la langue sans avoir l’air d’y toucher, et qui ponctuent leurs intrigues d’accents drolatiques… Dans Le Stagiaire amoureux, de Thierry du Sorbier, il s’agit précisément de cela : d’une affection pour le verbe, d’une recherche linguistique de tous les instants et d’un amour de l’humour. C’est bien simple, on ne s’ennuie jamais durant ces quelques heures de lecture : à travers une intrigue passéiste, quoique plutôt coquasse, Thierry du Sorbier nous fait visiter les locaux d’un petit journal de province qui ne paie pas de mine - mais dont les seuls occupants suffiraient à remplir un musée consacré à l'art du grotesque -, et par la suite un village sans prétention. Les quelques "journaleux" qui peuplent Le Courrier d’Avesnes sont, en effet, ahurissants : quand ce n’est pas leur patronyme, c’est leur faciès qui fait sourire. Et quand ce n’est pas leur façon de parler, c’est leur bizarrerie toute assumée qui décontenance… On est bien loin, ici, du sérieux des grands journaux français. On se sentirait plutôt dans l’aile ouest d’un sympathique pavillon psychiatrique, où quelques écrivaillons joyeusement timbrés auraient tous un problème à régler avec leur plume… Mais on en oublierait presque Amory. Sois stage et tais toi Amory le discret, Amory l’agaçant, Amory le jeune stagiaire qui a très vite compris que se faire tout petit était la meilleure des stratégies à adopter dans un petit journal. Pour ne pas se faire éjecter. Dans cette galerie de caractères loufoques, le stagiaire ratatiné ferait presque figure de sainteté : mais c’était sans compter sa maladresse maladive, combinée à une fâcheuse tendance à tomber amoureux de tout ce qui bouge… D’un romantisme aigu, il a fort à faire entre son ambition de journaliste et son tortionnaire de rédacteur en chef. Mais comble de l’infortune, Amory se voit finalement envoyé comme correspondant local, pour toute une année, dans un trou paumé des ténèbres françaises : un petit village perdu de chez perdu, Saint-Paulin-sur-Morbier, dans lequel il ne se passe… jamais rien. Tour à tour roman pour la jeunesse, puis œuvre doucement poétique, ce Stagiaire amoureux n’est pas si loin finalement du précédent opus de Thierry du Sorbier, Ottaviana. On y retrouve la même inclinaison vers la fantaisie, vers l’histoire qui sort des sentiers battus… Du Sorbier semble œuvrer pour un univers qui lui est propre, où les individus ne tendent jamais que vers l’originalité, et où même les villages paumés peuvent recéler quelque aventure notable. On en redemande.
Julien Canaux
Le stagiaire amoureux Thierry Du Sorbier Ed. Buchet Chastel 200 p / 13 € ISBN: 2283022955
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