Le deuxième roman de Justine Lévy pourrait être un roman d’été. De ceux que l’on lit sur les plages, sans trop se poser de question. En imaginant parfois le regard de son père, B.H., à la lecture de certains passages. En s’amusant des jeux de correspondances entre personnages fictifs et personnalités people, celles dont les noms hantent encore nos dîners en villes comme les couvertures glacées de nos magazines ensablés. Seulement voilà : le roman de Justine Lévy n’est pas de ceux-là, pas du tout, loin de là. Il faut oublier la ronde des personnalités, s’arracher à la grandeur de leur actualité, se forcer à écouter une voix fine et continue qui finirait par ressembler à une plainte, pour se laisser prendre par le récit parfois poignant d’une jeune fille grave. Il y a ici pour nous une urgence, un devoir, une nécessité morale, car l’on s’apercevra très vite que c’est seule que la pauvre petite aurait pu tranquillement se noyer, sous le vernis trop lisse des apparences et des jeux de miroirs. Titanic vacillant Sous les images, les maux, les vrais. Ceux que Justine prête à son double romanesque Louise. Ceux que Louise empreinte à Justine. L’étouffement de sa vie : une histoire d’amour finie qui semble ne jamais pouvoir totalement cicatriser, une maman atteinte d’un cancer, une culpabilité de dire sa propre souffrance, l’amour, encore et toujours, pas tout à fait à la hauteur de ses grandes espérances. Louise semble éternellement enfermée dans un étau, un questionnement sans fin sur sa propre condition qui ne lui laisse aucune issue. Trop consciente de son inconscient, elle ne choisit pas mais se regarde choisir, ne fait pas, se regarde faire, ne dit pas, cherche le bon mot pour dire mieux. On en est là, à regarder se débattre cette autre Kate Winslet, ayant élu domicile dans un appartement de la rue Bonaparte comme sur un Titanic vacillant. Sauf qu’ici rien ne cède, tout reste droit. Si l’on cherche des larmes, c’est entre les lignes qu’on les trouvera, car Louise ne pleure pas. Dès le très beau début du roman, face à la mort de sa grand-mère, elle ne peut se résoudre à verser une seule larme. On voudrait qu’elle renonce, lâche enfin. On voudrait qu’elle envoie valser les fins de chapitres, ses amants et son papa. On voudrait qu’elle parte en voyage, qu’elle oublie tout pour mieux recommencer. On se dit qu’elle exagère, cette pauvre petite fille riche, de se plaindre ainsi. Qu’elle ferait mieux de prendre de la hauteur, de respirer enfin, un peu. Mais rien n’y fait, c’est là son impossible. Il faudra l’accompagner jusqu’au bout, l’aider à démêler le fil, refaire l’histoire pas à pas. Remettre les mots à leur place, tranquillement, puisqu’il n’y a plus, pour elle comme pour nous, que cela à faire. De toute façon, il n’y a rien de grave… Panser Comme si le pire était dé jà venu, il s’agit maintenant pour Louise de gérer au mieux le présent en pansant - pensant - le passé. La tension née de la rencontre entre ces deux nécessités, dont le livre est une trace pleine de méandres plus que le récit organisé, est magnifique de violence, elle aussi retenue. Entre le souvenir d’un amour fusionnel et quelques amants vite oubliés, des colères fulgurantes et les doutes de fin de journées, entre son père, sa mère, et ses médicaments imaginaires, Louise se construit un équilibre précaire qui finira par la sauver, un peu. Une voie qui lui est propre, celle de l’entre-deux, d’une rétention érigée en philosophie tant elle semble cru, en esthétisme tant elle est constante. Autocritique au scalpel de sa vie d’avant, son récit ne cesse d’osciller jusqu’au bout sans oser vraiment, et contre les apparences, choisir la voie de la rédemption. Cet “ Edifice de la rupture ” comme dirait Christophe Donner, est précisément tout ce qui fait la force du roman de Justine Lévy, lui-même enfermé dans un va-et-vient constant. Entre autofiction et roman, confession médiatique et intimité littéraire, lui aussi hésite, ne choisit pas. Un entre-deux fécond qui permet à Louise de reconsidérer sa vie et de la placer à juste distance, à Justine de tout assumer, jusqu’à son identité d’auteur : “C’est mon nom, Lévy, vous pouvez l’admettre ” (page 168). Elle aussi. Si une autre Justine Lévy est née, libérée de Louise, nourrie de son histoire retravaillée, elle est cependant incapable de s’en échapper : Justine restera Louise jusqu’au bout. En sortant du roman, on réalise progressivement combien cette histoire et le champ d’action quotidien de sa protagoniste sont nôtres. Combien cette génération immédiate, la nôtre, celle qui doit décider, se retrouve aujourd’hui sacrifiée sur l’autel des choix sans fins de ses vies, de ses morts, de ses plaisirs ou de ses souffrances, par le truchement de son propre regard. Comment malgré tout, en plaçant un “ rien de grave ” en postulat de départ, elle arrive à avancer. Il faut doubler le regard de Louise, mettre en scène à notre tour ce qu’elle est, c’est-à-dire nous, pour commencer à imaginer une autre vie. Plonger avec Justine Lévy, oublier une réalité pour en trouver une autre. Naviguer avec elle. Reconstruire quelque chose. Assumer un chemin. Nous sauver aussi, un peu ; admettre la fragilité. Lire Rien de grave avant l’été. Laurent Allen-Caron
Zone Littéraire correspondant
Rien de grave Justine Lévy Ed. Stock 194 p / 15 € ISBN: 223405673
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