Soixante écrivains anglo-saxons confessent l’inavouable dans une anthologie orchestrée par le poète Robin Robertson. Amateurs d’historiettes croustillantes, ne pas s’abstenir. L’écrivain est lamentable. C’est désormais chose certaine. Fini le « culte de l’intellectuel littéraire » qui, si l’on en croit le romancier londonien, Louis de Bernières, atteint en France « des sommets délirants ». Fini le mythe de l’être hors norme, quasi immortel, qui sillonne, une coupe de Moët&Chandon; à la main, les soirées mondaines des capitales européennes. Fini le fantasme des admirateurs passionnés qui attendent dans les salons du livre, des heures durant, pour faire signer l’ouvrage qu’ils ont déjà lu trois fois et qui se bousculent dans les bibliothèques pour écouter celui qu’ils considèrent comme un demi-dieu. Oui, l’écrivain est lamentable et, comme tout un chacun, il n’échappe pas aux petites tortures quotidiennes que sont le faux-pas, la bévue, le malentendu – et à l’humiliation qui les suit de très près. Après avoir personnellement éprouvé un nombre considérable de déconvenues, le poète anglais, Robin Robinson, a souhaité recueillir les « confessions impudiques » et pour le moins jubilatoires de plusieurs dizaines de ses confrères. En résulte une anthologie de situations burlesques qui reposent sur le contraste entre l’action et celui qui la subit : lorsque le raffinement intellectuel se trouve subitement rabaissé face au regard d’autrui, on ne peut que sourire. Dans la postface de son anthologie, Robin Robinson explique l’essence de sa démarche : « L’humiliation n’est pas, bien sûr, l’apanage des écrivains. Mais le monde des lettres semble pourtant présenter un microclimat on ne peut plus propice à la gêne et à la honte. » En effet, nombreuses sont les occasions offertes aux auteurs pour se couvrir de ridicule : séances de signatures, tournées promotionnelles, séminaires ou remises de prix sont autant de punitions infligées à ceux qui, ordinairement, restent enfermés chez eux, assis à leur bureau. C’est une honte ! Impossible de résumer ici chacune des humiliations évoquées dans Hontes. Nous retiendrons cependant la toute première séance de dédicaces de Margaret Atwood, installée pour l’occasion, dans « le rayon des chaussettes et sous-vêtements pour hommes » d’un grand magasin canadien. Ou encore ce jour où Patrick McCabe supplia la seule auditrice d’une de ses lectures de rester jusqu’à la fin, laquelle rétorqua qu’elle avait mieux à faire et qu’elle n’était entrée que pour se mettre à l’abri de la pluie. À lire aussi le récit ubuesque du poète Matthew Swiney qui déchaîna l’hilarité générale au cours d’une rencontre publique lorsque l’une de ses dents voltigea hors de sa bouche pour atterrir aux pieds de l’assistance ; ou encore celui du romancier Alan Warner dédicaçant à ses nouveaux voisins le livre d’un autre. N’allez cependant pas confondre les humiliations subies par les écrivains avec celles qu’ils s’infligent tout seuls et qui sont bien souvent le résultat de leurs propres débordements. Lorsque l’alcool vient se mêler à certaines situations, le déshonneur n’est pas loin. Michael Donaghy en a d’ailleurs suffisamment fait l’expérience pour se jurer de ne plus « mélanger alcool et versification ». Ajoutons tout de même que les anecdotes recensées dans Hontes, aussi plaisantes soient-elles, se suivent et finissent par se ressembler. À quelques exceptions près, les souvenirs de saouleries, d’expériences embarrassantes et d’orgueils blessés sont sensiblement les mêmes. Ainsi, cet ouvrage n’est-il pas fait pour se lire d’une traite; il faut piocher à droite à gauche et savoir s’en garder un peu pour le lendemain. Le grand avantage de l’anthologie est de faire découvrir des plumes peu traduites et par conséquent souvent méconnues du public français. Et, au vu des talents rassemblés dans cet ouvrage, c’est bien au lecteur, cette fois, d’être un peu honteux d’avoir ignoré pendant si longtemps le travail de ces auteurs. Quel sort que celui de l’écrivain qui se démène entre ses hontes et l’ignorance du public ! A. L. Kennedy ne nous contredira pas, elle qui lance entre ironie et franc désespoir : « Curieusement, la calomnie la plus courante, d’une élégante simplicité, n’est autre que “Écrivain !” Ce qui tend à prouver que l’éducation marche bel et bien et qu’une génération tout entière a réussi à apprendre que traiter quelqu’un d’écrivain est une grave insulte. » Ellen Salvi
Zone Littéraire correspondant
Hontes Robin Robertson Ed. Joëlle Losfeld 295 p / 22 € ISBN: 2070789926
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