Cécile Ladjali consacre son premier roman au théâtre. Elle place l'action à Venise au palais d'ô. La troupe de Candice est venue présenter Othello. Celle de Nathan Britannicus.
S'engage alors entre eux une guerre fratricide sur scène et en coulisse.
L'histoire est contemporaine. Pourtant le lecteur a l'impression d'être hors du temps : quelque part entre Renaissance italienne et XVIIIème siècle. Car l'auteur recrée l'atmosphère d'époque. Et fait surgir l'aspect littéraire et romanesque que recèlent ces lieux. Mais elle n'oublie pas de décrire l'envers de la ville : saleté et pestilence.
Ce château historique a reçu Goldoni, Beaumarchais, Marivaux, Sade et autres grands maîtres. Il abrite les compagnies jusqu'à la représentation. Son personnel et l'ensemble des comédiens s'agitent au rythme des répétitions et des éclats de leurs directeurs.
Tout ce petit monde vit presque en vase clos. Pierrot, le majordome fantomatique « qui traverse les antichambres sans toucher le sol » et les drôles de têtes désincarnés des souffleurs confèrent au récit étrangeté et fantastique. Les lourdes portes, les salles d'armes de musique et de cartes évoquent les décors des oeuvres de Racine et Shakespeare.
Au coeur de cette toile, Cecile Ladjali installe un authentique couple tragique.
Candice et Nathan portent le fardeau de l'interdit qu'ils ont bravé. Ils sont tiraillés entre leur culpabilité et leur amour inavouable. Ils ne peuvent que l'étouffer. Mais le désir latent les consume. Conscients de la fatalité qui pèse sur eux, ils tentent vainement de fuir leurs sentiments.
Candice, lumineuse, superbe et cruelle revêt un masque d'arrogance. Elle réclame vengeance. Et châtie son frère par des provocations et des humiliations incessantes. L'ombrageux Nathan subit son sort et reporte son amour sur la souffleuse. Leur destin est irrémédiable et leur chute inéluctable. Elle est évidente dès le début. Mais n'est révélée qu'à la fin. Le doute subsiste tout au long du livre. Car la tension dramatique monte crescendo. Et donne force au récit.
En parallèle, les deux têtes partagent un amour harmonieux. Cécile Ladjali met ainsi en miroir ces deux unions. Grâce à cette opposition, elle accentue la violence et la passion qui se déchaîne entre le jumeaux.
Par le truchement du couple Candice-Nathan, elle explore les thèmes fondamentaux de la tragédie. Et la célèbre.
Mais elle va plus loin encore. Elle en écrit une, non sans talent. Cependant elle lui donne la forme d'un roman : didascalies, dialogues et monologues se fondent à la narration.
Elle utilise une langue belle et raffinée gorgée de métaphores, bien que le style soit limpide.
La poésie émane.
Non, la littérature n'est pas morte
Doreen Bodin.
Zone Littéraire correspondant
Les souffleurs
Ladjali Cécile
Ed. Actes Sud
0 p / 15 €
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