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Romain Slocombe, la bridée au cou

En lisant la biographie de George Sanders que vous avez traduite (« Mémoires d’une fripouille », PUF), on se dit qu’il y avait de nombreux points communs entre vous...

J’avais effectivement une grand-mère russe mais ce n’était pas une aristocrate au sang bleu comme George Sanders. Elle et lui partagent ce monde un peu suranné et ont fuit la Russie pour étudier en Angleterre. Elle y a rencontré mon grand-père George Slocombe, un jeune poète à l’époque, devenu écrivain et journaliste politique pendant l’entre deux guerre. C’était une sorte d’Albert Londres anglais : il avait interviewé Hitler, Mussolini et Gandhi. D’ailleurs cet atelier, c’est lui qui l’a acheté après la guerre. Ce côté humour anglais, qui est devenu plus anglais que nature chez George Sanders, je le retrouve chez mon grand-père. Il m’a influencé, je m’en sers dans mes bouquins.

Cette attraction pour le Japon, ça vient d’où ?

Elle me vient de mon enfance. C’était un architecte ami de mon père avec qui il avait conçu la décoration d’un des premiers restos japonais de Paris. Il m’impressionnait beaucoup. A l’époque j'étais maoïste et lui venait d’une famille d’aristocrate japonais. Il avait été pilote pendant la guerre et était assez conservateur. Il me soutenait que la Chine sous Mao, c’était l’enfer, qu’il y avait de grandes famines. Je ne voulais pas le croire mais, quand je suis sorti de ma période gauchiste, je me suis rendu compte que ses informations étaient peut-être plus vraies que les miennes.

Votre relation au Japon est tout de même ambiguë, vous en montrez les parts d’ombre...

J’ai une empathie complète vis à vis de ce pays et des Japonais... en particulier des Japonaises d’ailleurs ! Je suis toujours frappé par tous les malentendus culturels. Il y a des choses qu’on peut détester là-bas : le côté commercial, enfantin, fast-food... Politiquement c’est un pays très à droite où il n’y a jamais eu d’alternance et de plus complètement inféodé aux américains. Il y a des tas de côtés antipathiques au Japon mais tous sont intéressants. J‘essaie de le montrer dans sa globalité. Je suis prêt à combattre ces clichés horripilants qui traînent encore dans les films de Luc Besson ou dans les livres d’Amélie Nothomb : les autocars remplis de crétins en costume trois pièces qui jacassent en faisant des conneries... Pour moi le Japon n’est pas du tout ça. Moi je voulais montrer les Japonais que j’avais rencontrés en tant qu’artiste underground. Il y a là-bas une dualité qui existe depuis très longtemps, mêlant un côté extrêmement aristocratique, élitiste avec un côté populaire, festif. C’est ancré dans l’âme japonaise, il n’y a en fait aucune contradiction mais il faut connaître.

Araki est un artiste japonais dont le travail pourrait être rapproché du votre...

Il est justement dans ce côté paillard de l’âme japonaise. Il vient d’un quartier populaire de Tokyo. Dans ses récentes nouvelles, la traductrice a toutes les peines à retranscrire tous les jeux de mots sexuels. Je m’en rapproche mais j’ai peut-être un petit côté George Sanders qui m’empêche de tomber complètement dans la paillardise, le porno. Je l’ai rencontré plusieurs fois - j’ai même fait un documentaire sur lui - et il sera un des personnages de mon prochain roman, une série noire. Le dernier volet de la tétralogie. (NDA : série entamée avec Un été japonais, Brume de printemps et Averse d'automne à la Série noire)

Votre approche du bondage est plus esthétisante que pornographique, c’est presque un plaisir d’entomologiste...Les femmes sont comme des papillons cloués sur une planche. Est-ce que cela reste sexuel ?

Tout à fait. Il y a beaucoup de fantasmes, beaucoup d’érotisme. Cela vient de l’enfance. Mais en même temps, je suis quelqu’un de romantique et je voulais que ces femmes soient rêvées, hiératiques. Le fait qu’elles soient dans des ambiances d’hôpitaux les font ressembler à ces papillons dans leur boîte. Retirées du monde par un accident qui n’a rien à voir avec le sado-masochisme, elles se retrouvent devant un mur blanc, comme photographiées pour un livre médical mais finalement mises en scène dans une pose classique, très Renaissance italienne. Le noir&blanc; laisse, contrairement à la couleur, une grande part au rêve... Etait- ce il y vingt, trente ans ? On ne peut pas savoir. Il y a toujours un côté intemporel. Les fantasmes remontant à l’enfance ne sont jamais dans le présent immédiat. Il y a un certain passéisme.

Le personnage de Nao a une personnalité affirmée malgré toujours ce côté éthéré et diaphane propres aux japonaises que vous décrivez.

Nao est à l’origine un projet de long-métrage. Son personnage est en fait le composite de trois ou quatre Japonaises qui existent vraiment -dont une eurasienne- Le personnage de La Japonaise de Saint John's Woodest aussi quelqu'un que j’ai rencontré et que je connaissais bien. Il y une différence de générations entre elles. L’étudiante de Saint John's wood est une Japonaise des années 90 branchée, prête à toutes les expériences érotiques. Toujours en quête. Son modèle était pareil : une année elle voulait faire de la photo, l’année suivante elle voulait devenir écrivain ou ouvrir un restaurant. Elle est donc plus dilettante et plus immature que Nao, personnage plus complexe pour avoir souffert pendant son adolescence d’avoir été chahutée à cause de ses origines eurasiennes.

Pourquoi confronter vos héros au groupe ou à l'Histoire, est-ce par romantisme ?

Il y a peut-être une part de romantisme. Mais ce qui est important, c’est l’individu face au groupe. Nao est le personnage central du livre, errante entre tous ces hommes qui la convoitent, calculent et veulent la posséder. Elle est une victime potentielle mais une victime intelligente. Elle est au dessus de cela moralement grâce à son éducation japonaise. Son rôle de victime toute désignée est donc effectivement un peu romantique. Une des modèles de Nao m’a fait un remarque très intéressante après avoir lu le livre : le côté pragmatique de tous les mâles français du bouquin est complètement en contraste avec la folie du tueur. Et elle a ajouté qu’elle aimait à penser que Nao s’est jetée dans ses bras. Seul quelqu’un d’aussi irrationnel pouvait être innocent, et être un alter-ego pour elle.

L’érotisme est moins présent dans Nao que dans la japonaise de Saint John’s wood : Nao est violentée, trompée...

Je sentais que ce personnage devait intérioriser sa sexualité. C’est un trait commun à Nao et à ses modèles. Ces filles sont en France depuis 10-15 ans. Elles ont un petit ami français et ont reçu le puritanisme actuel en France. Elles sont beaucoup moins décontractées et hésiteraient sûrement beaucoup avant d’être photographiées par un type comme moi. Si ces filles n’ont pas été avec un artiste, elles vivent avec un informaticien, quelqu’un de relativement banal. En cherchant à échapper à la pression de la société japonaise qu’elles détestent, elles ont trouvé en France la bourgeoisie et le calme. Mais leur côté jouisseur peut reprendre le dessus. Nao cède dès qu’arrive une histoire avec un quinquagénaire français qui lui fait miroiter une histoire sexuelle et intellectuelle.

Il y a un thème plus nouveau dans Nao, c’est l’occultisme.

J’en mets de plus en plus (rires). C’est un truc de gosse. J’ai toujours été fasciné par les côtés sombres de l’histoire, le nazisme... Les civilisations disparues, les sociétés secrètes sont un ressort très puissants : cela fait appel à un imaginaire enfantin, à une fascination morbide. Utilisé de manière astucieuse, un peu second degré, cela peut fournir des éléments forts. Il y a dans Nao un collage d’infos Internet sur ce thème. Ce passage est comme un gros objet sombre, un coin vif dans une peinture aux couleurs douces. On en revient aux peintures de ma mère, construites de la sorte. Mais ce n’est pas gratuit. Le fait que des supérieurs inconnus manipulent Adolf Hitler allait bien avec la folie du jeune Otaku japonais, Tokihiko. Tout ce circuit de hasard peut être pensé comme une petite farce du diable. Cela justifie le fait de parler des nazis : Nao est rejetée à cause de ses origines européennes et tout racisme fait irrésistiblement penser aux Nazis... cela peut également expliquer pourquoi le kinésithérapeute qui la soigne est allemand. Il y a toujours un petit lien entre tous les éléments du livre.

Il y a deux façons d’envisager l’histoire de Nao : les jeux de l’amour et du hasard ou Nao l’éternelle victime.

Dans la vie il y a un mélange, justement. Il y a le hasard et ses ironies. Dans les bras duquel nous nous jetons parce que notre nature nous y pousse. Sommerset Maugham a écrit un beau texte là-dessus. Il dit qu’il y a deux écoles d’écriture : ceux qui écrivent la réalité telle qu’elle est et ceux qui la contrôlent, la fictionnent. Et il ajoute que la réalité est très mauvais écrivain parce qu’elle produit parfois des trucs géniaux qu’elle tue dans l’oeuf. J’utilise moi aussi des éléments de réalité, des choses que j’ai vécues, des personnages que je connais, que je trouve sur Internet ou dans l’histoire.... J’essaie de reformuler tous ces éléments dans un ordre qui leur donne un sens nouveau. C’est une narration qui se construit un peu toute seule. La vie produit des incidents et l’Art existe pour les rendre naturels.

Laurent Simon

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Romain Slocombe
Ed.
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Dernière modification le Thursday, 04 June 2023 22:21

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