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Florian Zeller � Julien Parme, ou l�adolescence romanesque d�une maturit� litt�raire
" La maladie de l'adolescence est de ne pas savoir ce que l'on veut et de le vouloir cependant � tout prix " (Gabriel Matzneff, Le D�fi) pourrait parfaitement caract�riser l�obstination et les piaffements d�impatience du personnage du nouveau roman de Florian Zeller.
Julien Parme vient d�atteindre ses quatorze printemps. Fougueux, rebelle et incompris, misanthrope inconscient parce qu�il est d��u par la vie depuis qu�il est en �ge de r�fl�chir au sens du mot libert�, son quotidien est rythm� par les fugues, les soir�es o� celui qui boit le plus sera forc�ment le plus viril, et les engueulades. Avec sa m�re, remari�e � un beau-p�re qu�il m�prise cordialement. Avec sa pimb�che de demi-s�ur, petite bourgeoise en herbe qu�il martyrise. Avec l�autorit� scolaire. Pour ses proches, c�est un gar�on irrattrapable. Mais c�est surtout un gar�on p�tri de soif d�ind�pendance, �coeur� par le manque de fantaisie des adultes, pestant contre le monde entier. Julien est donc envoy� � Saint-Di�, parce qu�il a fugu� et commis une longue s�rie de b�tises qu�il va se faire un plaisir de raconter au lecteur, l�interpellant avec la douce arrogance de ceux qui n�ont pas encore v�cu.
Puis je me suis dit : " C�est dingue quand m�me, de la croiser comme �a au milieu de la nuit. En plein milieu de Paris. C�est vraiment un dr�le de hasard�" C�est vrai, quand on y pense : c��tait dingue. Mais le hasard, moi, j�y crois pas. Et La Fontaine, est-ce qu�il y croyait, lui, au hasard ? je me suis demand� en reprenant ma route. Sans doute que non. En tant qu��crivain je veux dire. Il devait surtout croire au destin, je pense. Comme moi. De toute fa�on la plupart du temps, c�est facile : La Fontaine et moi, on est d�accord sur tout. Surtout lui.
Florian Zeller a compos� ici un texte superbe sur l�adolescence, pour les adultes. Le r�cit de ces quelques journ�es de la vie d�un m�me errant dans Paris pour fuir les sanctions et ires parentales, anim� par le d�sir de passer du temps avec celle que son c�ur a �lu � la jolie Mathilde. On se prend � aimer ce garnement certain d�avoir s�duit sa prof de fran�ais, qui rivalise avec l�ami Marco pour avoir l�air genre, disserte sur le sens de la vie et trouve odieuse l�indiff�rence avec laquelle le traite son entourage. Tous l�ignorent, mais Julien est un grand �crivain. Tiens, il va m�me s�y mettre demain. Que sa gouaille et son c�t� cr�neur ne vous trompent pas.
Julien comme Sorel, Parme comme la Chartreuse. Zeller s�amuse avec les noms, invente une Mathilde version ann�es 2000, assume une filiation avec le h�ros de L�Attrape-c�ur . Julien pourrait �galement �tre le Bandini de La route de Los Angeles et, pourquoi pas, le double en plus jeune mais tout aussi effront� de Henry Miller lorsqu�il se raconte dans Sexus. Tous ont en commun la tentation de se croire promis de fabuleux destins. Glandeurs �m�rites, mythomanes et m�galos : des qualit�s que l�on pardonne plus facilement � la jeunesse, encore que. Tout est dans le ton. Et l�oralit� utilis�e par Zeller, rompant ainsi d�lib�r�ment avec la veine n�o-romantique ou n�o-hussarde qui impr�gnaient ses pr�c�dents livres, rel�ve autant du bel exercice de style qu�elle souligne l�intelligence narrative de ce roman. La cavalcade physique et int�rieure de Julien, on y croit. Tout comme on s�amuse du propos toujours alerte et intransigeant de Julien.
Les Champs, c�est pas du tout ce qu�on croit. Je voudrais pas trop faire de citations pour �taler ma culture, mais quelqu�un a dit, un �crivain polonais du si�cle dernier, que c��tait la plus belle avenue du monde. Je ne suis pas du tout d�accord avec lui. Mais � mon avis, celui qui a dit �a, le Polonais, il �tait aussi de mon avis, m�me s�il a �crit l�inverse. Seulement, il s�est dit que si tout le monde r�p�tait �a, on serait d�barrass�s des Japonais et des ploucs. Parce que, forc�ment, les Japonais et les ploucs, vous leur dites que c�est la plus belle avenue du monde, tout de suite ils rappliquent. C�est comme un r�flexe. Et du coup, on peut se promener tranquilles dans les endroits bien plus jolis de Paris sans �tre d�rang� par eux. Par exemple Saint-Sulpice.
Se cache derri�re Zeller un �patant parcours. Un premier roman � l��ge de 22 ans, Neiges artificielles (2001), pour lequel il re�oit la bourse Ecrivain de la Fondation Lagard�re. Suivront Les Amants du n'importe quoi, La Fascination du pire (prix Interalli� 2004). Et Florian ne r�colte pas les honneurs que sur la sc�ne litt�raire. Ses deux pi�ces de th��tre, L'Autre (d�Annick Blancheteau, mont�e aux Mathurins) et Le Man�ge (de Nicolas Brian�on, avec Marine Delterme et Nicolas Vaude au Petit Montparnasse) lui valent un succ�s critique m�rit�. Si tu mourais, sa prochaine pi�ce, se situe dans la continuit� des pr�c�dentes. Au centre des pr�occupations, le couple et les faux-semblants. Une veuve cherche � comprendre qui �tait r�ellement son mari. Enqu�te, doutes, suspense savamment m�nag� : cette femme s�engage dans un m�andre de r�v�lations dangereuses. A quel prix se n�gocie la v�rit�, et la v�rit� peut-elle exister sans le fantasme et l�imaginaire, tels sont les points soulev�s dans un chass�-crois� de pr�sent et de flash-back, de d�couvertes et d�illusions.
Julien Parme se voit Nobel � 20 ans. Un critique du Point voit Florian Zeller Goncourt � trente. Tout est question d��ge. Ecrire sur l�adolescence donc, parce que c�est en �tant adulte que l�on prend suffisamment de distance avec l��ge ingrat pour rire de son c�t� grotesque, pour s��mouvoir de sa dimension tragique. Peut-�tre aussi parce que l�adolescence, comme le disait si po�tiquement Hafid Haggoune, est le temps o� il faut choisir entre vivre et mourir . Manifestement, adolescent, Zeller a choisi de vivre, et de vivre pour une grande �uvre d��crivain et de dramaturge. La sienne. Au rebours de certains d�tracteurs, de ceux que l�ambition et le talent font grincer des dents, saluons l��nergie et le labeur que notre jeune auteur de 27 ans y consacre, de m�me que les solides premi�res pierres de cet �difice qu�il s�est jur� de construire.
Elodie Polo
Julien Parme
Editions Flammarion, 260 pages, 17 euros
Si tu mourais
Mise en sc�ne de Michel Fagadau
Avec Catherine Frot, Robin Renucci, Bruno Putzulu, Chlo� Lambert.
De 15 � 50 euros - Du mardi au samedi � 21h, les samedis et dimanches � 16h30 - Com�die des Champs-Elys�es, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris - Renseignements : 01.53.23.99.19
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