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� la fronti�re de l'aube?
L��ge d�or serait-il de retour ? Il marque en tout cas l�entr�e en litt�rature de Bertrand Schefer. Philosophe et traducteur, entre autres, il nous a confi�, en �clectique �clair�, sa conception de l��criture, de la litt�rature et d�autres arts.
L��ge d�or . n�est pas seulement un film des ann�es trente. C�est aussi le premier roman de Bertrand Schefer, sorti en pleine rentr�e litt�raire de septembre 2008. Exercice ardu s�il en est de faire valoir sa voix parmi les centaines d�autres mises en avant, d�cortiqu�es et auscult�es � chaque saison. Mais Bertrand Schefer n�en est pas � son premier d�fi. C�est � lui que l�on doit la traduction, in�dite en fran�ais jusqu�en 2003, du Zibaldone de Leopardi. Une exp�rience aussi enrichissante que schizophr�ne : � traduire au jour le jour pendant pr�s de sept ans le journal de ce philosophe italien du XVIII� si�cle, il y a de quoi perdre prise avec son �poque. Et sa langue. Apr�s cette colossale immersion, il lui a donc fallu apprendre � se r�approprier sa vie et cr�er sa propre voix. C�est par l��criture que Bertrand Schefer a d�cid� de r�pondre � ce double d�fi. Un passage de la traduction � l��criture qui n�est pas si anodin puisque dans un cas comme dans l�autre, c�est avant tout de langue qu�il est question. Au millier de pages du journal-monument, il oppose la petite centaine de pages de L��ge d�or . Une apparence fluette qui pourrait laisser croire qu�il s�agit d�un texte l�ger quand il est en r�alit� dense et cisel�. Tout est question de gamme, de ton et de proportion. L��ge d�or �chappe en effet � tout �tiquetage lapidaire. D�s les premi�res pages, on est saisi par une langue aussi pr�cise qu�imag�e. Quant � la narration, elle est pr�sente, mais suffisamment d�construite pour nous entra�ner dans des m�andres d�une histoire qu�il va nous appartenir de reconstituer nous-m�mes, � rebours de toute chronologie lin�aire. L�appellation de roman est-elle d�s lors r�ellement valable ? Les lecteurs en qu�te de pure distraction fictionnelle seront certainement quelque peu d�rout�s, � ce qui est le but du jeu �. Les autres suivront les pas et les d�ambulations urbaines de son personnage principal, tant�t agac�s, tant�t attendris, mais forc�ment marqu�s par les images et les sensations v�hicul�es. Et si l�on tient � donner une d�finition � ce texte, le meilleur moyen est d�interroger son auteur.
� suivre partiellement le cheminement d�un adolescent vers l��ge adulte, on songe par moments au parcours d�un roman de formation. Trop charg�e de tradition litt�raire, et donc largement galvaud�e, une telle notion est n�anmoins rapidement �vacu�e. Il serait bien plut�t question de � d�formation�. Loin d�assener la moindre le�on, la moindre morale, ce livre �tudie � la m�tamorphose pas toujours visible d�un personnage pris � diff�rents moments de sa vie. � R�cit d�une d�route, il est � repli� sur lui-m�me �, requ�rant une � ou plusieurs - lectures attentives qui permettront d�y d�tecter diff�rentes atmosph�res pourvoyeuses d�exp�riences r�p�titives bien plus que de le�ons. Pas d��ducation donc. Mais encore moins d�autofiction. La proposition est balay�e d�embl�e tant c�est en opposition � cette tendance � consid�r�e comme un effondrement - qu�il se situe. Ce qui ne signifie pas qu�il n�a rien � voir avec ses personnages. Il est � d�accord avec tout ce qu�il �crit �. Mais le but n��tait absolument pas de raconter sa jeunesse � la fin des ann�es 1970. � L�id�e n��tait pas de fixer une �poque. C�est la raison pour laquelle j�ai choisi un titre d�lib�r�ment d�li� d�une �poque, qui parle d�un pass� tr�s ancien ou d�un futur tr�s lointain. � Hors du temps ou au c�ur du temps. Tel est d�ailleurs le propos central de ce roman construit sur des flash-back, tendu entre un id�al r�volu et un futur encore nimb� d�espoir. .� Les signes du temps ne m�int�ressent pas �. Et pour cause, � l�exception de la mention quasi anecdotique d�un t�l�phone portable ou d�un Eurostar, nulle chronologie n�est v�ritablement d�pos�e ni aucune �poque clairement marqu�e. Car l� n�est pas l�essentiel. Dans ce texte � repli�, au sens de Leibniz �, Bertrand Schefer s�attache � l�entre-deux, au passage. Quant � l�espace, il est appr�hend� sur le mode de la fuite, ses personnages ne parvenant jamais � se fixer, cherchant dans chaque lieu un ailleurs, mais toujours dans la ville. Elle est la v�ritable � matrice � dans la mesure o� elle repr�sente un � labyrinthe. Une fois que l�on est dedans, on peut essayer de la quitter pour d�autres villes mais on retrouvera toujours le m�me syst�me un peu carc�ral. En m�me temps, c�est � l�int�rieur de cela qu�on trouve sa libert�. � Plus encore que d�un ailleurs g�ographique, c�est sur un � horizon int�rieur � qu�il se penche : � comment redessiner la ville � l�int�rieur de soi. �
Plus appropri� encore serait donc le mot � fable �. B�tie sur une succession de moments rarement chronologiques, elle permet de saisir l�in�vitable instabilit� r�sultant du passage d�une �poque � une autre, d�un �ge � un autre : ces � purs moments de creux � bien plus d�cisifs dans une existence que toute le�on doctorale.
On semble br�ler lorsque l�on �voque le terme de po�sie. � Un po�me en prose, au sens de Baudelaire ou d�Aloysius Bertrand �, serait effectivement l�expression la plus juste s�il fallait vraiment accoler une �tiquette � ce texte.
Un texte exp�rimental par certains abords donc. Le qualificatif � assum� � ne doit pas effrayer. Bertrand Schefer ne cherche pas � prendre le lecteur par la main mais � le pousser dans ses retranchements. Car ce qui l�int�resse n�est pas d�alimenter le grand r�servoir de fiction, domaine dans lequel le cin�ma r�pond � 90% de nos besoins, mais bien de voir dans quelle mesure la litt�rature a encore un r�le � jouer : � Voir si la litt�rature est encore un espace perceptif, un peu comme un certain cin�ma, ax� sur les perceptions, les sensations, et qui abandonne l�id�e d�un sc�nario assez vite � .
� la crois�e des �ges, L��ge d�or est en effet aussi � la crois�e des arts. Ce r�cit doit autant � de grands ma�tres litt�raires (ses r�f�rences vont de Lord Jim de Joseph Conrad � Tropiques de Nathalie Sarraute, en passant par L�amour fou de Breton) qu�� ceux du 7�me art. Ce n�est pas pour rien que Bertrand Schefer a utilis� le titre que Luis Bu�uel avait donn� � l�un de ses films r�alis� en 1930, consid�r� comme un des �l�ments fondateurs du courant du surr�alisme. Il consid�re volontiers son livre comme � travers� par le cin�ma �. S�il n�y a jamais consciemment pens� pendant la r�daction, les ombres de Robert Bresson et de Philippe Garrel planent ind�niablement sur son travail, d�limitant ainsi une certaine � communaut� d�esprit � � laquelle il appartiendrait.
Reprenons donc : L��ge d�or n�est pas un roman d��ducation, encore moins une autofiction, ni un roman tel qu�on le con�oit dans sa dimension la plus lin�aire �. S�il ne requiert pas de mise en condition particuli�re, il est toutefois fortement d�conseill� d�en entreprendre la lecture dans le m�tro, au risque de passer � c�t� des sensations qu�il �voque et fait surgir et de manquer les pi�ces n�cessaires � la reconstitution du puzzle final� L��ge d�or peut sembler hors du temps, effa�ant volontairement toutes les traces de son �poque pour mieux refl�ter un entre-deux toujours flottant, que chacun a la charge de se r�approprier pour occuper du temps avant de s��taler dans l�espace ? Peut-�tre. C�est ce qui fait une partie de sa richesse. En revanche pour Bertrand Schefer, pas de doute : il appartient bien � son �poque et ne cesse d�en explorer les diff�rentes voies d�expression. Apr�s l�exp�rience de la traduction, pour l�instant mise entre parenth�ses, et celle de la litt�rature, c�est au cin�ma qu�il a l�intention de se confronter (il a d�j� collabor� � l�exposition con�ue par Val�rie Mr�jen au Mus�e du Jeu de Paume au printemps 2008). Prochain rendez-vous sur les �crans donc.
Laurence Bourgeon
Photo: S�bastien Dolidon
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