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Beigbeder, confession en oxymore majeur
C�est un passionn� qui peut vous citer dans la m�me conversation Quand Harry rencontre Sally, Pessoa, Renard ou les calembours hilarants d�une bonne copine. Discret et passionnant, Fr�d�ric Beigbeder parle ais�ment de son dernier roman, Au secours pardon, mettant en sc�ne Octave, son fameux personnage et double litt�raire, avec une fougue et une verve digne de 99 francs. Par Olivia Michel.
Calme, patient, il ressemble si peu � la caricature du pitre qu�on lui pr�te trop souvent. Il parle doucement et parfois, lance un rire court et fort. Oxymore classique du timide exub�rant. People et f�tard, intelligent tout en �chappant au clich� de l�intello�
De quoi en agacer plus d�un ! � Quand quelqu�un de c�l�bre sort une �uvre , raconte-t-il, on lui ressort les m�mes clich�s � vie, moi c�est mondain, noctambule, DJ, s�ducteur, provocateur, drogu� � Son image devenait un obstacle � la lecture de ses livres et il a d�cid� d�sormais de se cacher " un peu ". � Je veux �tre jug� sur mes livres, pas sur qui je suis. C�est du snobisme, je l�avoue !� Un snobisme qu�on a du mal � v�rifier tant on peut voir des clich�s de l��crivain sur tous les supports de
communication, jusqu�� Femme actuelle et m�me les vitrines de Zadig et Voltaire, magasins de v�tements branch�s.
Qu�importe, voil� le vrai Beigbeder, celui qui v�n�re la litt�rature et qui est du c�t� de la vie, de la f�te. Il �voque Pouchkine et Capote : � Ils sont les preuves qu�on peut �tre une langue de pute mondaine, un coureur de jupons et un grand �crivain. Faut avoir des ma�tres qui vous rassurent� Qui vous montrent qu�on n�est pas oblig� de se faire chier dans la vie pour �tre respect� ! � Il tente de m�ler le plus id�alement possible la casquette d��crivain et celle de pitre, la vie et la litt�rature, en somme. Il nous parle de l��criture : � Je pense qu��crire r�v�le une part inconnue de soi-m�me, donc dans mon cas, il y a s�rement un grand d�pressif, comme un alien qui ne demande qu�� sortir et dans mes livres on l�entend appeler "au secours, pardon ! "(rires)�
Dosto�evski versus Nip/Tuck
Au secours pardon s�annonce comme le succ�s de l��t�. Il se nichera sur un coin de serviette de plage entre les cr�mes et les bikinis. Rien de mieux pour plaire � son auteur, qui aime � faire passer son personnage et double litt�raire, Octave Parango, pour un amateur de chair fra�che et l�g�rement v�tue. Le syst�me beigbederien fonctionne une fois de plus � merveille : sens de la r�plique qui tue, convocation d�illustres auteurs russes, tableau analytique d�une soci�t� : ici, la Russie et ses multiples travers. Il avoue �tre un adepte de l�espionnage lorsqu�il �crit. En Russie, il a d�couvert une libert� effrayante dans laquelle il a aim� s�immerger. � C�est un pays violent, dit-il, mais aussi magique et po�tique. J�ai commenc� � tomber amoureux de la Russie, des filles russes, de la vodka russe, des bo�tes de nuit russes, de la litt�rature russe� � Et puis, il s�est interrog� sur cette industrie des visages, sur la responsabilit� tr�s grave de choisir un visage pour une marque. On est heureux de retrouver Octave, le h�ros de 99 Francs, qui se confesse dans une cath�drale, � genoux devant un pope. Il vient lui raconter comment il a � travaill� tranquillement � donner aux hommes du monde entier l�envie de coucher avec des enfants. � Ant�christ g�nial, Octave admet : il soumet � la tentation et ne d�livre pas du mal.
Beigbeder avoue avoir voulu faire un livre � l�image de La Chute de Camus, un monologue sur quatre saisons o� Octave se confesse avec sa culpabilit� constante de catholique et demande au pope de le parrainer pour obtenir " la membership card du paradis ". Il a souhait� �galement que ce soit un roman d�amour. � J�aime bien que le h�ros soit totalement blas� qu�il n�y croit plus du tout. Et puis �videmment une femme va lui faire changer d�avis, comme dans Belle du Seigneur�, pr�cise-t-il. Un roman d�amour donc, mais qui, comme souvent dans ses romans, part dans des d�lires irr�els
proches du fantastique.
Octave, double litt�raire familier
On a du mal � dissocier Octave de Beigbeder lui-m�me. Lorsqu�on le lit, il a la voix, le sourire de son auteur. � Et pourtant�C�est pas du tout moi si vous saviez comme je suis ennuyeux ! �, lance-t-il dans un rire. Le jumelage est frappant, jusque dans le look de Jean Dujardin qui l�incarne dans l�adaptation de 99 francs par Jan Kounen qui sortira � la rentr�e : un clone du Beigbeder d�il y a dix ans. Amus�, il raconte : � quand on a un personnage et qu�on en est content, pourquoi changer ? C�est un peu mon alter ego, mon anti-h�ros. � Roth, Bukowski, Woody Allen� N�est-ce pas finalement un jeu commun aux auteurs de grand talent que de trimballer un double fictif dans leurs �uvres ? � La r�alit� , dit-il, c�est que ce n�est pas du tout moi. C�est plut�t un fantasme de ce que je n�oserais pas �tre� � Ce personnage, aussi exasp�rant qu�attachant, sera donc pour la premi�re fois sur les �crans. Un film dont Fr�d�ric Beigbeder est co-sc�nariste et qu�il trouve courageux, dr�le et sombre. � M�me s�il y a des choses qui ne sont pas dans le livre , ajoute-t-il, le ton est l�, il y a la m�me �nergie, c�est sans concessions, pas du tout aseptis�, brutal et violent. �
Octave n�en a pas pour autant fini avec son existence litt�raire. Il reviendra encore dans un prochain roman o� il relatera, cette fois-ci, ses 99 jours de t�l�vision sur la cha�ne TFplus� On attend donc les prochaines aventures d�Octave, mais patience, Fr�d�ric
Beigbeder �crit lentement, � raison d�un paragraphe par jour, et le reste du temps ? Il vit ! � C�est pas mal non plus, vivre ? � , conclut-il. � Pessoa disait, �j��cris parce
que la vie ne me suffit pas". Moi j�inverserais et je dirais : "je vis parce que l��criture ne me suffit pas. �
Pour cet �picurien d�sesp�r�, vivre est donc trop pr�cieux. Il nous parle de ses amis �crivains, une bande litt�raire qu�il aime et admire. � Je peux �tre ami avec Houellebecq parce qu�il est d�sesp�r� comme moi, nihiliste et en m�me temps romantique. Et donc on peut boire ensemble, la nuit ! � Il aime parler de ces auteurs qui lui plaisent pour leur folie, leur humour ou un certain
mode vie. � J�aime beaucoup Yann Moix parce que c�est un fou complet ! Tr�s brillant, tr�s m�chant, tr�s dr�le. Je l�admire beaucoup. J�y peux rien, j�aime bien les gens un peu aga�ant ! �, raconte-t-il. Puis on aborde Dustan, incompris, Jean-Jacques Schuhl avec qui il aime passer des soir�es � citer des vers, des mots d�esprit. � Il a cette qualit� d��tre aussi un noctambule et on
peut aussi se voir tard et boire ! � Et les ma�tres� Il est fier d�avoir pu rencontrer certaines de ses idoles, Sagan, Blondin, notamment, mais semble avoir un grand regret : � Il y a un g�nie que j�ai regrett� de ne jamais rencontrer, c�est Fr�d�ric Dard, le papa de San-Antonio. Je pense que c�est un des plus grands �crivains du XXe si�cle et qu�il est tr�s sous-estim�. Comme c��tait un �crivain tr�s comique, on n�a pas vu la solitude, le d�sespoir et l�angoisse de ce mec. Certains de ses livres sont des chefs-d��uvre, � pleurer. Pour moi il est aussi important qu�Albert Cohen sans qui je n�aurais pas �crit L�Amour dure trois ans �, nous raconte-t-il. Il pourrait continuer des heures, le passionn� transpire derri�re ses mots lanc�s d�un coup sec. Fr�d�ric Beigbeder est � la fois � plus � et � moins � que ce qu�on imaginait de lui. Un m�lange parfaitement dos� qui fait de lui un �crivain d�jant� et euphorique et un homme captivant, pour qui la litt�rature est la plus fid�le maitresse.
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