|
|
Victoria B.
Signalement : yeux bruns, cheveux ch�tain, �ge entre 23 et 24, a �crit un recueil de nouvelles Le D�ni, tr�s convaincant.
Victoria Bedos a donn� rendez-vous chez elle, � on y sera plus au calme �. On arrive donc un matin t�t dans le sixi�me arrondissement, on se perd � peine dans une succession de cours qui m�nent � son appartement, un premier �tage entour� de v�g�tation. Chaleureuse, elle fait visiter. Toute la d�coration est japonaise : � Rien n�est � moi, je suis arriv�e avec une valise �. Elle propose � boire, nous partagerons un th�. On commence par la question qui f�che : publier quand on est fille de, �a donne quoi ? Elle rit, cite d�embl�e une d�convenue avec Femme actuelle, ayant constat� qu�elle n��tait pas dans la rubrique livre mais people ! � Ca d�concerte un peu parce qu'essayer d��crire quelque chose le plus sinc�rement possible, de faire de la litt�rature, et se retrouver affubl�e d�un nom... L��uvre n�est qu�un d�tail, j�aurais pu faire n�importe quoi, un spectacle d�acrobatie, des claquettes, on aurait quand m�me parl� de moi ! Ce qui m�effraie en ce cas, c�est de me demander s�ils aiment vraiment ce que je fais ou si �a les int�resse juste de parler de la descendance d�un grand bonhomme� �. Elle n�a cependant pas l�air trop ennuy�e et � la voir si souriante, on lui demande le pourquoi d�une telle d�clinaison autour du d�ni (celui du corps, de la peau, des origines, de l�opinion politique�), un sujet pas vraiment l�ger. � J�ai eu dans mon entourage une jeune fille de 15 ans qui a fait un d�ni de grossesse, elle s�en est aper�ue � 7 mois et demi et n�avait plus que quelques semaines pour se faire � l�id�e. J�ai moi-m�me pens� : elle ne peut pas �tre m�re, c�est encore une enfant ! � On s��tonne d�une telle situation o� le corps reste mince, o� le b�b� se d�veloppe entre les organes, se cache : � Il y a quelque chose de la survie : � Ne dis rien, ne montre pas que tu es enceinte, continue � avoir tes r�gles, continue � avoir un ventre plat, n�ai pas de naus�es, ainsi le b�b� pourra rester le plus longtemps possible. C�est ce qui est assez �mouvant : corps et esprit deviennent solidaires pour garder l�enfant, emp�cher l�avortement �. Et l�int�r�t de l��crivain de s��veiller, s�interrogeant sur le syst�me du d�ni, son contexte, les rapports
avec les parents, le danger qu�il repr�sente� Le d�ni, c�est finalement un refus de cr�er des vagues, de faire de la peine � quelqu�un, il intervient souvent dans un contexte d�amour, de parents aimant leurs enfants et vice-versa : � tel point que ces derniers ne veulent pas d�ranger, pas faire de bruit, pas choquer, pas transgresser, et s�ils ont un probl�me, au lieu de l�exprimer, ils pr�f�rent se tuer eux-m�mes, � petit feu �. Justement, la premi�re nouvelle, Petite, la plus bouleversante, raconte l�histoire d�une ado devenant anorexique pour rester une enfant et regagner ainsi l�amour de ses parents qui vivaient mal les transformations de son corps : ils la laissent mourir lentement sous leurs yeux en niant que ce soit une situation anormale. Elle pense vraiment qu�il y a des parents aussi cruellement aveugl�s ? � Oui h�las, je me suis renseign�e, mais �a reste de la fiction, je parle de comportements extr�mes. En fait l�enfant n�est pas le seul � faire un d�ni, les parents aussi, qui ne veulent pas voir ce qui d�range, au point de ne pas croire que leur enfant est en train de crever� C�est la perversion du syst�me : si l�enfant est anorexique �a veut dire que les parents ne le voient pas. L�anorexie est un appel au secours, mais un appel �touff� o� on dit paradoxalement je suis en train de dispara�tre mais je veux exister. � Tout de m�me, peut-on � ce point se bander les yeux, n�y a-t-il pas un instinct parental qui permet de d�tecter le malaise ? Victoria conna�t son sujet : au del� du fait qu�il est difficile de faire admettre par une m�re que �a ne va pas � une jeune fille qui se pr�tend en forme, la m�re est souvent prise dans une dualit� f�minine avec sa fille. Effectivement, cet aspect de dualit� entre m�re et fille particuli�rement mis en exergue dans le r�cit, nous a mis assez mal � l�aise. � C�est animal comme r�action, s�emporte-t-elle, soudain tu deviens une rivale pour ta m�re, tu as des seins comme elle, tu as tes r�gles, tu peux enfanter, du coup, m�me vis � vis du p�re, il se cr�e quelque chose de latent : tu deviens d�sirable. Tu es plus belle, plus fra�che, tu es tout comme ta m�re mais en plus jeune : �a la renvoie au temps qui passe. Il y a des m�res qui l�acceptent plus ou moins et quand chez une femme la vieillesse est inacceptable, elle renvoie ce refus sur sa gamine. � Elle ne m�che pas ses mots la demoiselle ! On ne lui demandera pas si elle parle en connaissance de cause, la qualit� de ce qu�on a lu et entendu d�elle sur ce sujet suffisent � notre int�r�t. Allez, quand m�me, d�sabus�e sur la question, Victoria ? Pas du tout, elle esp�re m�me avoir pu mettre en garde avec ce r�cit des parents qui ne prendraient pas assez au s�rieux cette �pre p�riode qu�est l�adolescence. Etre parent est d�cid�ment un m�tier tr�s difficile !
On revient � l��criture, frapp� de la gravit� se d�gageant de son recueil malgr� un humour omnipr�sent. On lui avoue que sa jeunesse et sa position nous avait fait appr�hender la lecture avec quelques a priori (vite balay�s), on attendait quelque chose de plus l�ger.
Contrairement � ce qu�on imaginait � et pourtant l�histoire rec�le de dr�les d�sesp�r�s � dans sa famille, il n�y a jamais eu de d�connade. � Mon p�re est quelqu�un de tr�s grave qui utilise l�humour comme � politesse du d�sespoir � pour reprendre ses mots. Il est d�sesp�r� au fond, l�humour n�a �t� qu�un outil de survie et c�est ainsi que je le consid�re, plus particuli�rement dans ces r�cits o� il n�est question que de survie. En fait, c�est comme si l�humour �tait le pendant du d�ni : un d�ni c�est un peu de la biens�ance, on cr�ve mais avec �l�gance, avec panache. Pour moi, l�humour c�est dire des choses terribles mais avec panache, c�est de la pudeur. � Et pourtant cette gravit� Elle nous explique combien elle se sent incapable de superficialit� dans l��criture, oblig�e m�me de s�all�ger sous peine de tomber dans le sombre, le glauque, qu�elle n�aime pas. Intervient alors ce fameux humour pour rendre le tout plus digeste, en un subtil dosage profond/l�ger. En l�occurrence, pense-t-on, il a �t� r�ussi. Le temps passe, on ne r�siste pas � l�envie de lui poser une question un peu cruelle : et si elle ne devait choisir qu�une nouvelle ? Elle �clate de rire, r�cuse la difficult� de la question, finalement se prend au jeu. � La plus lointaine de moi mais que j�ai eu le plus de plaisir � �crire d�un point de vue litt�raire, est La beaut�. Je parle d�un mec, j�ai fait un vrai travail d��crivain, un peu naturaliste, comme Zola et ses personnages � cobayes �. � Petite � aussi : je me suis document�e, j�ai lu, tout en y apportant de moi car bien s�r, j�ai �t� adolescente. Et surtout c�est la premi�re nouvelle que j'�cris � la troisi�me personne. J�imaginais une jeune fille qui pouvait �tre moi mais qui n��tait plus moi, j��tais un narrateur omniscient. J�avais un sentiment d��tranget� vis-�-vis de ce personnage, elle-m�me ayant un sentiment d��tranget� par rapport � son corps, bref quelque chose de vraiment int�ressant �. Elle aussi, c�est une nouvelle qui la touche beaucoup. Et puis Le d�ni, parce que c�est la premi�re nouvelle qu�elle a �crite, qui a engendr� le recueil. Bon en fait, elle a un peu trich� mais on ne lui en veut pas, c�est normal. Comme elle le souligne, si on demande � quelqu'un lequel de tes enfants il pr�f�re et que la personne r�pond, �a cr�e un malaise ! L�entretien touche � sa fin : un roman est-il en pr�vu ? Oui, elle a commenc� mais se sent plus � l�aise avec la forme courte, ayant d�but� l��criture par des sc�narios. � J�esp�re tenir dans la longueur, il ne faut pas que je m�essouffle. J�aime les formes cin�matographiques o� il y a un climax, et puis une chute. Mais la nouvelle est de toute fa�on plus anglo-saxonne que fran�aise. Moi, c�est Maupassant qui m�a tout appris � Un bon ma�tre. On dissertera encore quelques instants sur l��crivain normand qu�on aime autant qu�elle, et puis on s�en ira, parce qu�on a un rendez-vous. On se rappellera alors qu�on voulait lui demander si son p�re �tait fier d�elle. Pas grave, on conna�t la r�ponse.
Le D�ni, Victoria Bedos, �ditions Plon.
Photos: Nicolas Khayat/Korava/Abacapress
| | |