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Pavel Hak : l'Art de la guerre
Entre violence et harmonie, les romans de Pavel Hak ne peuvent laisser de glace. Pour Zone Litt�raire, et dans un d�cor de biblioth�que, l�auteur tch�que se livre intimement... Portrait.
L��crivain tch�que est souriant : il explique que le lieu lui pla�t, et il est vrai que l�ambiance est tamis�e� Dans le sous-sol du caf�, les recoins sont accueillants, et les reliefs semblent emprunt�s � des d�cors d�anciennes salles de cin�ma. Quelque chose se passe, en somme : comme si les langues se d�liaient plus facilement, et que l�air ambiant inclinait � la confession. L�Ogre � plumes peut d�ployer ses ailes...
Le regard de Pavel Hak est franc, expressif. Sa langue roule l�g�rement les � r �, mais il ne cherche jamais vraiment ses mots : il n�est en France que depuis 1986, et pourtant, on jurerait qu�il est ici depuis toujours� On avance alors que les titres de ses derniers romans, Trans et Sniper, semblent taill�s au couteau. Des titres qui tranchent dans la douceur, comme s�il fallait annoncer la couleur d�s le d�but � car la violence est partout� M�me si Trans, comme on s�en rend compte tr�s vite, parle surtout d�amour : � Une histoire d�amour avec le monde, avec la vie, explique Pavel Hak. Cette dimension du texte est tr�s claire, malgr� la vitesse du texte et les sc�nes de violence� �
Il est vrai qu�il y a de quoi, � la lecture de certains passages, avaler bruyamment sa salive. On parcoure des sc�nes de viols, de morts atroces, puis des sc�nes de pure banalit�. � C�est une d�marche d�exploration et d�invention. Je voulais montrer ces gens-l� sans maquillage, ancr�s dans le r�el : sans rien embellir, mais sans enlever non plus les �l�ments d�rangeants. La litt�rature doit g�rer tous ces aspects, et ne pas les censurer, ni les rejeter : car si elle expurge tout �a, �a devient un �chec� Quelque chose d�absurde. Le rapport � la v�rit� est tr�s important, m�me s�il est tr�s difficile � g�rer : car on n�est pas non plus l� pour choquer, ni pour avancer je ne sais quelle violence injustifi�e. �
On l��coute parler, et devant tant de douceur, de sensibilit� et d�indulgence, on se demande comment l�on peut arriver � coucher sur le papier des images si dures� Mais un v�ritable �crivain doit savoir ma�triser les distances, tout en puisant dans le concret. Pavel Hak excelle dans les images et les descriptions visuelles, et sait faire partager ses visions les plus noires. M�me si tout est toujours tourn� vers la vie...
Immigrant song
Dans Trans, le personnage de Wu Tse est clandestin � une destin�e que Pavel Hak ne conna�t que trop bien, pour l�avoir v�cue lui-m�me plus jeune, alors qu�il �migrait ill�galement vers l�Italie. A ce moment pr�cis, on sent que l�auteur ne veut pas trop s�appesantir sur le sujet, il explique que l�essentiel est ailleurs, dans ses livres. Mais on ne peut contourner ce qui figure comme une exp�rience fondatrice : � C�est quelque chose de tr�s profond� Il faut que la litt�rature soit � la hauteur de cette exp�rience. C�est extr�mement fort. Pour ces gens-l�, c�est une lutte pour la vie, un combat profond� Quand on �crit, l�exp�rience personnelle est derri�re. Mais cette histoire, ce n�est pas une autobiographie. Moi, je veux faire de la litt�rature, je veux cr�er un univers qui puisse tenir debout, qui sois convaincant, puissant, fort, coh�rent� Aujourd�hui, on a peut-�tre un peu trop tendance � glisser vers l�autobiographie, dans le "moi-je". �
On sent que l��crivain a des convictions, mais il ne les impose jamais, le dialogue reste toujours possible. On revient alors sur la langue fran�aise, ce panache, cet outil qu�il ma�trise � la perfection (� l�oral comme � l��crit). Et l�on rappelle que Proust disait d�j� qu��crire, c��tait forc�ment �crire dans une langue �trang�re� � Oui, il faut cr�er sa propre langue, et aller contre cette autre langue que vous ma�trisez, d�une certaine mani�re. C�est l� que se situe l�invention. Il faut l�attaquer quelque part, cette langue ! Vous ne pouvez jamais �crire dans une langue standard��
Et Dieu sait comme le style de Pavel Hak n�est pas standardis� Que penser de la censure, dans tout �a ? Se sent-il enfin LIBRE dans son �criture ? La notion d�effort est partout, quand on �crit. Car qui peut dire qu�il �crit au fil de la plume ? � Dans tout r�gime politique, on doit se battre tout d�abord avec soi-m�me, pour pouvoir ensuite s�exprimer. L�expression n�est pas �vidente, elle n�est pas imm�diate� �
On sent un auteur libre de ses actes, libre de ses �crits. � Pour Sniper, c��tait exactement cet univers-l� : un travail sur la th�matique de la guerre� Ce n�est qu�ensuite, apr�s ce long travail, que j�ai pu �crire Trans. Dans ce livre, j�ai privil�gi� la pratique profond�ment romanesque, avec ces sc�nes comiques, tragi-comiques, burlesques, loufoques. J�en avais besoin, car l�univers dans Sniper �tait extr�mement lourd. Il ne fallait pas que cela m��crase, que cela m�enfonce� C�est pourquoi j�ai �cris Trans avec cette fatalit�, ce mouvement romanesque puissant ; car il contient beaucoup d�humour, malgr� son univers violent. �
Trans peut para�tre froid et m�tallique... Mais c�est une rigidit� qui trouve toujours, en �cho, une douceur infinie : comme si l�histoire d�amour, qui lie Wu Tse et Kwan, �tait � prendre comme le fil conducteur de tout le roman. Le reste n��tant que jeux d�oppositions : � C��tait int�ressant de jouer sur l�imbrication de l��tre humain, encore vivant, et donc conscient, avec ces dispositifs de pouvoir, extr�mement durs, inhumains souvent, qui vous d�shumanisent, qui vous transforment en marchandise, qui vous exploitent comme pure force de travail. C�est cette modernit�-l� que l�on vit : car j��cris aussi sur le futur. �
On l�aura compris : la litt�rature de Pavel Hak est une litt�rature du risque, qui ne flirte jamais avec le confort. L��crivain tch�que travaille une �criture viss�e dans l�invention, mais aussi dans une grande part de visuel. Par un savant jeu d�images et de mots, l�auteur peut ainsi aller tout droit vers l�essentiel : la r�alit�.
Julien Canaux
Photo: Sebastien Dolidon
www.dolidon.fr
Trans de Pavel Hak, �ditions du Seuil,
187 pages, 15,11 euros.
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