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Maintenant, je suis le gars qu'a failli avoir le Goncourt !
On le suit depuis le d�but, c�est donc avec plaisir qu�on s�entretient avec Olivier Adam, 33 ans, cinq romans, et pas la langue dans sa poche : quand maturit� rime avec sagacit�, n�en d�plaise aux jur�s de l�h�tel Drouot.
Vendredi 9 novembre, un matin clair dans le 6�me arrondissement. On retrouve un Olivier Adam f�brile, encore sous le coup du presque Goncourt, heureux d�avoir bient�t fini sa rentr�e � � je vais enfin pouvoir passer plus de deux jours avec ma famille �. En marchant vers le caf� tranquille o� on passera deux heures, il �voque une rentr�e � rock and roll �. A cause de la promo bien s�r, les radios, les t�l�s - � je d�teste �a � - mais aussi une pression nouvelle et grandissante notamment gr�ce au succ�s de l�adaptation au cin�ma de Je vais bien ne t�en fais pas.
� Cette ann�e j�ai bien senti d�s mai-juin que mon livre faisait partie des attendus. J��tais � la fois un outsider - je suis publi� � l�Olivier pas chez Gallimard ou Flammarion et je n�en vends pas des tonnes comme Nothomb ou Claudel - et un poids lourd : on parlait de moi pour les prix donc la presse, qu�elle n�aime ou pas mon livre, devait prendre position. � Alors prise de position il y a eu, parfois tr�s violente. Olivier Adam fait pourtant partie de ces auteurs port�s en g�n�ral par les libraires et la presse, tr�s aim� de son public. Cette fois, il a fallu faire face � des r�actions �pidermiques, bizarrement pas autour de l�immigration
clandestine � quel journaliste aurait os� porter le d�bat l�-dessus ? demande-t-il � mais sur le milieu, sur le personnage lui-m�me. � On m�a accus� de mis�rabilisme, de � popularisme � : ce sont les m�mes reproches qu�on fait � Ken Loach alors �a me flatte plut�t ! �. Ce qui l�a le plus d�rang� � et on le comprend � c�est de lire dans des journaux (le Figaro pour ne pas le citer) que l�intelligence, la lucidit� du personnage sont � en inad�quation avec son milieu social �. Ce que cela montre de la r�manence � un naturalisme pittoresque fa�on Deschiens, �a l�emmerde. Pire encore, on a brocard� le langage de son h�ro�ne qui parlerait trop bien pour ses origines ! comment ne pas parler alors de � racisme de classe � ?
Et le Goncourt rat� ? Favori depuis septembre, la pilule n�a pas du �tre facile. Et de fait, m�me s�il est loin d��tre dans la contestation fa�on Christophe Donner avec le Renaudot, il reste assez tranchant � Quand il y a comme �a un blocage entre deux titres, c�est le plus consensuel qui l�emporte �. Il n�est cependant pas question d�un Goncourt indigne, mais soyons clair, au 14�me tour, il y avait trois jur�s contre lui, quand les trois autres ne soutenaient vraiment ni l�un ni l�autre. Parmi les premiers, Fran�ois Nourrissier qui � n�est pas exactement r�put� pour �tre d�extr�me gauche ! � Un choix aussi litt�raire que politique, pense-t-il donc : on appr�cie sa franchise. D��u du coup de ce manque de reconnaissance ? Il n�est pas question de reconnaissance mais plut�t de pragmatisme, � savoir l�effet d�un prix sur les ventes. � Avec Falaises ou A l�abri de rien, on est entre 50 000 et 80 000 ventes, correspondant aux gens qui s�int�ressent � litt�rature contemporaine. Un prix permet d�acc�der au plus grand nombre. Le cas de Je vais bien� est de fait probant : film vu par un million de personnes, le livre est pass� de 5000 ventes au d�part � 200 000 !" Pour le Goncourt, c�est surtout pour la maison d��dition, l�Olivier, que la d�ception fut grande : � J�y �tais lundi quand j�ai re�u le coup de fil m�annon�ant que Gilles Leroy �tait le laur�at. Quand j�ai lev� la t�te et vu la t�te des gens, j�ai eu l�impression d��tre l��l�ve qui vient de rater son bac ! �. Quant � lui, s�il n�a pas r�alis� tout de suite, il l�a finalement v�cu comme un non-�v�nement, m�me si pour la presse, l�entourage, c�en est un � A Saint-Malo o� j�habite, quand les gens me croisent, j�entends souvent "H�, c�est pas le gars qui a failli avoir le Goncourt ?" ! �
Etats des lieux
Pass� la question qui f�che, on revient � l�essentiel, le livre. Ce qu�on a toujours aim� de ses romans � et � ce qu�on vient d�entendre, on diff�re d�une partie de la presse ! � c�est justement sa facult� de parler de la France pavillonnaire, la France du milieu, celle qui a assez d�argent pour se payer un micro-ondes � No�l mais pas pour partir en vacances, On aime sa fa�on de la faire vivre avec une telle justesse qu�il n�est pas rare qu�elle provoque un �cho intime. Il encha�ne imm�diatement � Un truc politique pr�sent � gauche comme � droite, c�est le m�pris affich� pour la France moyenne. Moi je ne me sens pas de m�rite particulier au sens o� comme bien des auteurs, je parle de ce que je connais. Ceci dit, peu d�auteurs sont issus des classes moyennes, et souvent, si c�est le cas, ils sont dans le rejet. Heureux d�en �tre sortis, ils brocardent ce milieu en en faisant un endroit laid o� les gens passent leurs journ�es avachis devant la t�l� �. Lui est loin de cette d�marche, il veut avant tout �viter le cynisme, l�ironie, le clich� � J�essaie de prouver que le commun n�est pas synonyme de rien �. Une volont� politique derri�re ce d�sir ? Oui, �thique m�me si on admet que la litt�rature doit dire quelque chose de la soci�t� fran�aise : � On se cr�ve un �il en ne traitant pas plus souvent les questions �conomiques et sociales de notre pays �. Pour lui, l�intime et le politique, le psychologique et le sociologique ont voix de citer dans le roman contemporain. Il faut dire le c�ur de la France, son noyau dur lequel est justement cette France moyenne, en parler sans la glorifier mais sans la m�priser. Notre auteur est peu convaincu par ses confr�res dont il trouve les tentatives sociales trop limit�es � ceux qui ont les choses entre leurs mains. � Je suis plus int�ress� sur les gens qui regardent la t�l� que par ceux qui la font �. Et d�en r�f�rer au cin�ma mondial, � la litt�rature anglo-saxonne o� parler de la soci�t� n�est pas synonyme de "faire du social" : � Personne n�a jamais dit de Carver qu�il fait du social quand il parle de ch�meurs ou de chauffeur de taxi �. Citant Camus, Adam revient sur le lien �vident entre faits intimes et la fa�on dont ils s�inscrivent
dans l��poque, le lieu, la situation sociale de chacun. Ainsi de sa derni�re h�ro�ne, Marie.
Desperate housewife
Justement Marie, parlons-en. Elle nous touche dans A l�abri de rien, m�re au foyer � la d�rive, incapable de sortir de sa d�pression malgr� le soutien de sa famille. � Marie, c�est d�abord la porte qui claque, celle du matin quand le mari est au travail, les enfants � l��cole, celle qui la laisse seule face � son vide existentiel. � La relation avec son mari est d�ailleurs fragile : elle se sent redevable parce qu�il l�a ramass�e � un moment o� �a n�allait pas, et lui s�impose d�s qu�elle tombe, semblant presque ne pas supporter qu�elle puisse aller bien. Comme le personnage de la m�re dans Falaises, Marie ne se sent vivante qu�en pr�sence de ses enfants. Mais quand l�enfant grandit, il faut bien affronter le silence et le temps qu�il laisse derri�re lui. Vivant � Calais o� des centaines de r�fugi�s ont �t� livr�s � la mis�re apr�s la fermeture du centre de Sangatte, Marie se plonge dans l�aide aux r�fugi�s. Comme beaucoup de b�n�voles, elle a peu de moyens mais du temps � revendre. Adam rench�rit � La question du temps est essentiel dans le b�n�volat, surtout dans les zones p�ri-urbaines o� il y a peu d�activit� culturelle : que fait-on si on n�a pas d�argent � aller d�penser au centre commercial ? �. Ce personnage fort, partag� entre ses propres failles et une volont� de bien faire, l��crivain l�a imagin� en lisant notamment Allan Warner et Blonde de Joyce Carol Oates, consacr� � Marylin Monroe � qui a bizarrement d�termin� beaucoup de Marie �. Et puis bien s�r il y a un peu d�Olivier Adam dans Marie : � Comme Antoine dans Poids l�ger, Marie est un peu extr�me, j�ai toujours aim� les personnages qui sont trop ceci ou pas assez cela. � Il revient plut�t content sur les nombreuses lectures qu�on lui a faites du roman, portrait de femme, roman social, un parcours de sainte la�que, une �tude de la d�pression� Pourquoi pas ? � Marie se d�bat surtout contre une vie trop d�termin�e en allant chercher "autre chose". Elle a perdu le fil de sa vie mais va le retrouver dans l�engagement, l��nergie du combat, la solidarit�, l�aide aux autres �. On l�attrape au vol : � propos des � autres �, c�est un des premiers livres o� il quitte la sph�re intime pour s�emparer d�un fait d�actualit� pr�gnante, hasard ou d�sir ? � Attention, j�ai toujours travaill� dans l�id�e d�un intime d�bouchant sur du collectif. Apr�s Falaises �crit comme une fin de cycle, qui mettait en avant l�id�e d�en finir avec le
pass� pour se consacrer au pr�sent, je savais bien que j�allais devoir aller vers le monde, puisque le pr�sent c�est ce qu�on a sous les yeux � .
La question humaine
Adam fait partie de ces heureux �crivains dont le livre fini par s�imposer, travaill� par la n�cessit� inconsciente de parler d�un personnage, un lieu, un sujet. En tant que citoyen, il y a tous les jours des choses qui le mettent hors de lui mais � il y a une diff�rence entre lire dans les journaux et voir les choses �. Ici en l�occurrence, suivant un atelier d��criture avec des �l�ves de Calais, il a assist� troiq ans de suite � l��volution de la situation. La premi�re ann�e il y avait un camp, puis plus, sa curiosit� a grandi, l��l�ment d�clencheur de l�acte d��criture �tant sa pr�sence lors d�une intervention de CRS venant d�loger tr�s violemment des r�fugi�s. L��crivain se fait virulent, emport� par la gravit� de son sujet, de ce qu�il a vu et entendu. � L�int�r�t intellectuel ou l�engagement politique ne suffisent pas � s�engager dans l��criture de ce genre d�histoire. Il faut l�avoir c�toy�
personnellement d�une fa�on ou d�une autre �. On �voque le retour de roman du r�el ces derniers mois, l�abandon d�un certain nombrilisme mais Adam se r�crit : � Je ne crois pas qu�il s�agisse d�un opportunisme de la part des �crivains, je pense qu�il y a plut�t une certaine urgence � dire, induite par l��poque politique que l�on vit �. L�heure tourne, on abandonne avec regret la question politique pour une ultime virage cin�ma : apr�s le raz de mar�e de Je vais bien� , dont il a cosign� le sc�nario avec Philippe Lioret, songe-t-il � passer derri�re la cam�ra ? Pas vraiment mais beaucoup d�accointance avec le cin�ma quand m�me !
Il y a d�abord le t�l�film tir� d�A l�abri de rien, dont il co-signe le sc�nario avec Jean-Pierre Am�ris, un ami fid�le depuis son adaptation de Poids l�ger, � malgr� un �chec commercial cuisant ! �. Diffus� sur France 3 le 22 novembre sous le titre Maman est folle, en r�f�rence � une chanson de William Sheller, il avait d�abord �t� refus� au cin�ma. Adam est assez fier qu�une cha�ne nationale ait pris finalement le risque de le financer. Il parle aussi du travail d�Am�ris " qui a proc�d� � une v�ritable enqu�te sur place, il a pris le relais, me permettant d�actualiser la situation sur laquelle j��crivais � .
Il a aussi aid� � l��criture du prochain long m�trage d�Alain Raouste, L��t� indien en salles en janvier 2008, � une exp�rience passionnante car si c�est le film auquel j�ai le moins collabor�, c�est celui dont je me sens le plus proche esth�tiquement. � Enfin, une nouvelle collaboration avec Philippe Lioret, sur Welcolm. � Je me mets au service de ce qu�il fait, de sa d�marche artistique, sans revendiquer ma propre cin�matographie �. Lioret travaille dans l�id�e d�une mise en sc�ne qui ne doit pas se voir, dans l�identification du spectateur, quand pour notre auteur, la part d�opacit� des personnages reste
primordiale. Dans le cas de Je vais bien... Lioret s�est ainsi r�appropri� toute l�histoire � C�est un paradoxe : vous �tes sc�nariste mais vous ne d�tenez pas le langage. C�est le pouvoir du r�alisateur �. Et de conclure � Si je r�alisais mes films, ce ne serait pas passionnant pour tout le monde ! �.
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