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Portrait de Jean-Pierre Cescosse
Apr�s Man�uvres de diversion en attendant la nuit [� lire, l'interview de J.-P.C. � ce propos, ndlr] et Nos derni�res frivolit�s, ses deux derniers livres parus chez Flammarion, Jean-Pierre Cescosse signe chez le m�me �diteur L�g�rement �trang�res, recueil de onze nouvelles sans emphase, � la plume l�g�re et rigoureuse, d�voilant onze portraits dr�les et sarcastiques de femmes qui ne s�avouent jamais vaincues. Onze femmes singuli�res, bien ancr�es dans leur �poque m�me si celle-ci s�abat souvent comme un couperet sur leur petite vie bien r�gl�e. Onze natures aussi, de femmes plus ou moins jeunes, aux sentiments d�risoires, � la lucidit� aussi coupante que le verre et qui aiment en jouer.
Cescosse la femme forte
Sous des airs d�bonnaires, Jean-Pierre Cescosse cache une grande force, une ma�trise de la langue fran�aise qui est aussi efficace que le revers lift� d�Arnaud Cl�ment. Mais arr�tons-l� la m�taphore sportive car l��crivain n�est gu�re port� sur la chose. Ses pleins et ses d�li�s sont toujours justifi�s et le mordant de ses phrases souligne une virilit� dans la langue, qu�il ne met jamais dans sa poche.
D�embl�e, quand on l�interroge sur les �crivains qui l�ont nourri, il r�pond aussit�t les "surr�alistes dissidents", � l�image de Ren� Crevel ou de Jacques Vacher, avant de citer d�autres noms "�vidents" pour lui comme Nietzsche, Gombrowicz, Perros, Onetti, et... Bourvil. Oui, vous avez bien lu, le com�dien comique fait partie de son panth�on litt�raire. "C�est quelqu�un qui m'�meut et qui contrebalance l� hyper intellectualisme de Musil" , confie t-il sans honte. Musil, un nom qui revient dans la derni�re nouvelle de L�g�rement �trang�res, intitul�e "Les Adieux", confession d�une vieille romanci�re � la fin de sa vie qui se sent "de plus en plus proche de l�Ulrich de Robert Musil", ce personnage de L�Homme sans qualit�s (un cousin de M. Teste de Val�ry), dont elle appr�cie la "proximit�" ; ainsi la romanci�re d�clare-t-elle sans "d�magogie" : "tous les �tres (moi-m�me y compris) me sont � la fois contigus et lointains, familiers et �trangers." Jean-Pierre Cescosse, lui, ne cultive aucune d�magogie, en tout cas il s�en d�fend, se disant l�admirateur "�norme" des �tres de tous les jours comme les chirurgiens, ces individus qui parviennent � faire d�eux-m�mes "autre chose que ces �tres standardis�s que l�on rencontre tous les jours." Lui, le fils d�un p�re communiste n� en 1963 � Verdun, dans la Meuse et qui a poursuivi ses �tudes de litt�rature de lettres et de philo � Nancy, d�clare tout de go : "Ce qui me d�range le plus c�est l�absence de noblesse d��me, d�aristocratie, oui d�aristocratie." Et ne lui parlez pas de ce qu�il a pu conna�tre, fatalement, en province et m�me � Paris lorsqu�il a d�barqu� apr�s avoir occup� un poste de ma�tre auxiliaire ou � la direction des Affaires culturelles de Metz en Lorraine, car il vous lancera : "La culture beauf, il faut l�avoir connue de l�int�rieur pour la d�truire." � moins qu�il soit catalogu� par certains comme un des "nouveaux r�actionnaires". Car attention, il c�toie d�sormais Houllebecq chez Flammarion depuis qu�il a �t� d�bauch� du Dilettante par Raphael Sorin en 2000 (apr�s Rimbaud et le CAC 40 et Apr�s dissipation des brumes matinales). De l� � �tre son ami...
Du style, du beau et de la fraternit�
Et son dernier livre est le contraire d�un recueil de nouvelles "politiquement correct". D�ailleurs il s�emporte sans v�h�mence contre "la litt�rature trash et pseudo d�avant-garde", avant d�ajouter comme pour se prot�ger : "J�essaie d��tre pr�cis en litt�rature." Voil� sa force. On reste cependant un peu �tonn� qu�il ne fr�quente aucune salle de cin�ma, pr�f�rant visionner des cassettes vid�o chez lui, avouant trois faiblesses : les documentaires animaliers, les Maigret, avec Jean Richard (vedette de son enfance) ou Bruno Cremer (vedette d�un des films d�Ozon qu�il aime bien - Sous le Sable, ndlr), et Derrick, le policier allemand dont il est fan, "concurrent s�rieux de c�l�rit� avec Maigret". � l�inverse des polars, ce qu�il aime en litt�rature, "c�est la forme, le ton, plus que l�intrigue." Et Cescosse n�est pas du genre � ruminer longtemps avant de se mettre � �crire, en prenant beaucoup de notes et en remplissant des carnets. Il cite Maurice Blanchot : "Le rapport que l�on a � l'oeuvre est un rapport de n�gligence. Moi, j�enmagazine et un jour �a sort."
Autre petite note r�currente dans son recueil de nouvelles, Dieu, la pri�re, la foi. "Je suis agnostique, mais mon p�re lui �tait ath�e. Je n�ai pas d�adh�sion pure et dure � une forme d�anticl�ricalisme, et je n�ai pas non plus la foi du charbonnier. Il me semble, justement que si la litt�rature est faite pour quelque chose c�est peut-�tre pour aller plus loin et voir que les choses sont plus complexes." Publiant r�guli�rement des textes dans la revue L�Atelier du roman, Cescosse annonce pour janvier 2004 un recueil de textes sur les �crivains qu�il aime dans lequel on trouvera un �loge d�un auteur peu connu, Georges Hyvernaud, un peu dans la veine de Calet, aujourd�hui r��dit� au Dilettante.
On ne peut que se r�jouir de la qualit� de l��curie Flammarion qui, depuis quelque temps, a repris du poil de la b�te, car apr�s �ric Holder, et aux c�t�s des nouveaux venus comme Florian Zeller et Alexandre Lacroix, Jean-Pierre Cescosse appara�t comme leur grand fr�re ; il m�rite beaucoup mieux qu�un succ�s d�estime. Ce livre l� devrait susciter l�enthousiasme.
Gilles Brochard
L�g�rement �trang�res, Jean-Pierre Cescosse
Ed. Flammarion, 144 pages, 12 �
Il y a deux ans, Zone rencontrait Cescosse : interview...
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